Numéro de requête 2003/AR/295

Date
Instance
REC BE
Marque
MOVE TO CURE
Numéro de dépôt
Déposant
MAESSCHALCK Lieven
Texte

30 mai 2005 arrêt définitif (réformation complète) 

 ARRET

La cour d’appel de Bruxelles, huitième chambre, après en avoir délibéré, prononce l’arrêt suivant :

en cause de

MAESSCHALCK Lieven,
Mechelsesteenweg 138,
représenté par Maître Christine De Keersmaeker,
avocat à 1040 Bruxelles, rue de la Loi 67;
appelant 

contre

Le BUREAU BENELUX DES MARQUES, en abrégé BBM,
Administration commune aux pays du Benelux,
instituée en vertu de la Convention Benelux en matière de marques de produits,
doté de la personnalité juridique, dont le siège est établi aux Pays-Bas, La Haye.
intimé
Représenté par Maître Ludovic De Gryse et Maître Charlotte Garrigues,
avocats à 1060 Bruxelles, rue Henri Wafelaertsstraat 47-57.

Quant à la procédure.

01. Par acte introductif d'instance, la cour est saisie en application de l'article 6 ter de la loi uniforme Benelux sur les marques d'une décision portant refus de l'enregistrement d'un dépôt notifiée le 20 janvier 2003 par le Bureau Benelux des Marques.

02. La requête a été déposée le 06 février 2003 dans le délai légal et en la forme régulière au greffe de la cour.

03. Les conseils des parties ont été entendus à l’audience du 15 novembre 2004.

Les faits et l’objet de la demande.

04. La demanderesse a déposé le 31 mai 2001 le signe verbal 'MOVE TO CURE’ en vue de son enregistrement comme marque pour des services dans les classes 41 et 42.

Le dépôt porte le numéro 0990707.

Les services mentionnés dans le dépôt sont ‘détente, activités sportives et services de nature médicale’.

05. Par lettre du 05 mars 2002, le Bureau Benelux des Marques – en abrégé le BBM – a communiqué que l’enregistrement du signe était refusé provisoirement pour le motif suivant : 'Le signe MOVE TO CURE (anglais pour "bougez pour guérir') peut servir à désigner la qualité ou la destination des services mentionnés dans les classes 41 et 42 en ce qui concerne la guérison par le mouvement. C’est pourquoi le signe est dépourvu de caractère distinctif (voyez l’article 6bis, alinéa 1er, sous a, de la loi uniforme Benelux sur les marques, en annexe)

Le BBM dénie donc au signe tout caractère distinctif au sens de l’article 6 quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris, soit le premier motif de refus absolu inscrit à l’article 6 bis, alinéa 1er, a), de la LBM.

06. Par lettre du 15 juillet 2002, l’avocate du demandeur a introduit une réclamation circonstanciée et motivée contre le refus provisoire, en se référant principalement aux arrêts de la Cour de justice CE dont il doit ressortir que le signe déposé ne peut pas être considéré comme descriptif dans les circonstances données.

Elle a relevé aussi que le signe devait être considéré comme un slogan.

La correspondance ultérieure n’a apporté aucun changement aux points de vue.

La décision définitive de refus a été signifiée le 20 janvier 2003.

07. Devant la cour, le demandeur avance en substance les objections suivantes contre la décision de refus :

- le signe déposé ne peut pas être considéré comme descriptif pour l’une des trois activités pour lesquelles la protection de la marque est demandée, étant donné que, considéré dans son ensemble, il n’est pas habituel ou usuel, comme slogan, pour désigner ces services en tant que tels ou des caractéristiques de ceux-ci ;
- il n’y a pas de lien direct entre les services visés et le contenu du signe, qui se comprend en néerlandais comme ‘bouger pour guérir’ ;
- le BBM a jugé qu’il n’y avait pas de motif pour exclure le signe `Move 2 Live',  qui, sur le plan auditif, ne présente aucune différence avec `Move To Live’.
- des mots anglais ne sont habituellement pas utilisés pour les services pour lesquels le signe a été déposé;
- la langue anglaise du slogan produit un caractère distinctif étant donné que le signe se distingue ainsi du mode habituel de désignation des services médicaux.

08. Le demandeur demande dès lors d’annuler la décision entreprise et d’ordonner au BBM de procéder à l’enregistrement de son dépôt pour les classes 41 et 42.

Il expose aussi que le BBM ne peut plus avancer un nouveau motif de refus en conclusions.

A titre subsidiaire, il demande d’ordonner au moins l’enregistrement pour la classe 41.

09. Le BBM allègue que conformément à l'interprétation que la Cour de justice CE a donnée de l'article 3, § 1, c) de la directive d'harmonisation, il est tenu de refuser l'enregistrement d'un signe déposé composé de vocables pour défaut de caractère distinctif lorsque :

(a) le signe est composé d’éléments pouvant servir à décrire les produits et services tels que ceux pour lesquels il est déposé ou des caractéristiques de ceux-ci;

(b) il n’y a pas d’écart perceptible entre la combinaison verbale et la formulation utilisée dans le langage courant par le public concerné pour ces produits ou services ou des caractéristiques essentielles de ceux-ci;

(c) dans l’esprit du public concerné, il existe un lien suffisamment direct et concret entre le signe et les produits ou services pour lesquels l’enregistrement est demandé;

Le BBM considère que cet examen donne un résultat négatif dans le cas présent, ne  fut-ce que parce que la protection du signe comme marque serait contraire à l’intérêt général.

Il considère aussi que le consommateur moyen dans le Benelux a une connaissance suffisante de l’anglais pour saisir la signification du signe.

Il soutient pour la première fois en conclusions que si la combinaison verbale n’entend pas désigner la destination des services, le signe est trompeur et doit être refusé pour ce motif en vertu de l’article 4, alinéa 2, de la LBM.

Il conclut au rejet de la demande.

Appréciation

10. En sa qualité d'autorité en matière de marques dans le Benelux, le BBM ne doit pas effectuer son examen du caractère distinctif in abstracto, mais en tenant compte de tous les faits et circonstances pertinents.

Ces faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération jusqu'au moment où une décision définitive est prise sur la demande.

L'examen doit porter sur chacun des produits ou services et l'autorité en matière de marques peut, le cas échéant, arriver à des conclusions différentes pour les produits et services pris en considération.

S'agissant d'une juridiction saisie d'un recours contre une décision prise par une autorité en matière de marques, elle doit également prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents dans les limites de l'exercice de ses compétences, telles que définies par la réglementation nationale applicable (CJCE, 12 février 2004, en cause Postkantoor, C-363/99, points 31, 35, 36 et 73).

11. A l'examen de la décision du BBM, il faut avoir à l'esprit qu'il remplit une mission visant l'intérêt général dont la sauvegarde sous-tend chacun des motifs de refus (CJCE, 18 juin 2002 en cause de Philips, C-299/99, n° 77; CJCE 12 février 2004 en cause de Postkantoor, C-363/99, n° 55).

Le signe doit être donc préservé dans l’intérêt général, le cas échéant, au cas où son attribution au titulaire d’une marque causerait une gêne disproportionnée au détriment de nouveaux opérateurs sur le marché, précisément  du fait que le signe accapare des éléments distinctifs qui doivent être à la disposition de chacun.
L’impératif de la concurrence libre et loyale limite dans cette mesure l’octroi à un titulaire potentiel de droits de marque exclusifs et renouvelables indéfiniment sur un signe.

12. Le motif de refus visé à l'article 6bis, sous 1.a, de la LBM – faisant référence à la Convention de Paris -, qui concerne le défaut de caractère distinctif, correspond au motif prévu à l'article 3, § 1, a), de la directive du Conseil CE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques.

Il doit dès lors être compris dans la signification qui lui a été donnée en droit communautaire par la Cour de justice.

13. Lors de l'examen du caractère distinctif, le signe dont la protection comme marque est demandée doit être considéré tel qu'il est déposé et en fonction des produits et services pour lesquels l'enregistrement est demandé.

Ceci implique qu'il doit être apprécié en tant que tel dans son intégralité, ce qui ne veut pas dire que les éléments constitutifs éventuels que l'on peut identifier ne peuvent pas former en soi un élément d'appréciation.

S'agissant des signes descriptifs, l'examen de leur signification vaut au surplus dans le langage courant à la lumière de la désignation même des produits et services ou de leurs caractéristiques essentielles.
Un signe susceptible de procurer cette désignation ou d’indiquer la destination, même si elle peut être fournie aussi par d’autres signes, ne peut engendrer en principe un droit de marque.

14. La notion de 'caractère distinctif' doit, selon la jurisprudence constante de la Cour de justice CE, être comprise en ce sens que la marque doit être apte à permettre d'identifier les produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé comme provenant d'une entreprise déterminée et à les distinguer de ceux d'autres entreprises (CJCE 04 mai 1999, en cause Windsurfing Chiemsee, C-108/97 et C-109/97, point 49; CJCE 20 juin 1999, en cause Lloyd Shuhfabrik Meyer, C-342/97, point 22; CJCE 18 juin 2002, en cause Philips, C 299/99, point 35; CJCE 08 avril 2003, en cause Linde -Winward/Rado Uhren C-53/01- C-55/01, point 40).

15. Les signes et les indications descriptifs qui ne sont pas admissibles à l’enregistrement comme marque sont donc seulement ceux qui peuvent servir, dans un usage normal du point de vue du consommateur, pour désigner soit directement, soit par la mention d'une de ses caractéristiques essentielles, un produit ou un service tel que celui pour lequel l'enregistrement est demandé. (CJCE, 20 septembre 2001, en cause Procter & Gamble, C-383/99, point 39).

Ils peuvent cependant primer le caractère descriptif ainsi compris s'ils sont présentés ou agencés d'une manière qui distingue l'ensemble notablement des modes usuels de désignation des produits ou services concernés ou de leurs caractéristiques essentielles.

Si la présentation du syntagme s'écarte de manière perceptible du mode habituel de désignation des services et que cet écart concerne un aspect important du signe déposé, cet écart confère un élément additionnel permettant à l'ensemble de s'en distinguer (CJCE, 19 septembre 2002 en cause Companyline C-104/00 P, n° 21 et 23; CJCE 12 février 2004 en cause Campina Melkunie, C-265/00, point 41).

16. Dans le cas présent, la demanderesse a adopté comme signe distinctif pour les services dans les classes désirées – détente, activités sportives et services de nature médicale – une combinaison de trois mots anglais `move to cure' .

Ni cette combinaison verbale, ni les éléments qui la composent n’appartiennent en tant que tels, sur le territoire du Benelux, au langage courant dans une des langues qui y sont parlées par les consommateurs locaux auxquels le signe s’adresse pour désigner les services mentionnés ni pour en indiquer les caractéristiques essentielles.

Il faut néanmoins admettre que la langue anglaise a suffisamment pénétré dans les communautés linguistiques du Benelux pour que le consommateur perçoivent les vocables cités sur le plan auditif et chacun dans leur contexte comme étant ‘anglais’.
Plus qu’un mot isolé d’ailleurs, l’ensemble dans lequel on reconnaît un slogan appelle le réflexe de la traduction dans le chef du consommateur.

17. La combinaison verbale peut être et sera donc traduite par le consommateur Benelux visé en néerlandais, ce qui est du reste voulu.

Dans ce contexte, il faut constater que la traduction n’impose pas nécessairement une approche ‘littérale’ – ‘bouger pour guérir’ – mais que le signe peut être aussi compris dans le sens du ‘mouvement comme cure de santé’.
'Cure' ne veut donc pas dire forcément ‘guérir’, mais peut tout aussi bien signifier ‘ce qui évite de devoir guérir'.

18. On ne peut donc pas admettre que dans la perception du consommateur moyen visé, les mots `move to cure' évoquent les services eux-mêmes ou les caractéristiques essentielles de ceux-ci sur la base d’un réflexe linguistique spontané.

D’abord, l’anglais n’apporte pas d’usage spécifique dans la sphère des services pour lesquels la demanderesse a demandé l’enregistrement.

D’autre part, le slogan dans son ensemble donne d’ailleurs un surplus par rapport aux trois mots séparément.
Ceci est inhérent à et le but d’un slogan.

19. L’ensemble n’évoque pas un constat médical avéré mais appelle plutôt à un état d’esprit volontariste et vise en résumé à faire comprendre que ‘bouger’ peut contribuer à un style de vie plus sain, en particulier avec le sport et dans le choix du divertissement.

Enfin, ‘bouger’ n’est pas en tant que tel propre aux services de nature médicale de sorte que l’on n’observe même pas d’aspect descriptif à la lumière de ce service ou de ses caractéristiques essentielles.

20. Rien de descriptif ne peut non plus se déduire du slogan en termes de ‘destination’ des services.

Dans le contexte du droit des marques, il faut comprendre l’indication de la destination de produits ou services, en tant qu’étalon du caractère descriptif d’un signe, en ce sens que le lien entre le signe et les produits ou services est indéniable.
Il ne suffit donc pas qu’il puisse y avoir parfois un lien de destination entre le signe et les produits ou services.

La détente, le sport et les services médicaux peuvent être envisagés à la lumière du ‘mouvement’ et de la ‘guérison’ ou de la ‘santé’ mais on ne peut soutenir pour aucune des trois catégories qu’il y a un lien de destination incontestable.

21. En se basant uniquement sur le fait que la combinaison verbale constitue une ‘traduction de l’anglais’, on ne pouvait dès lors décider que l’on était en présence d’un signe descriptif, avec comme conséquence un défaut de caractère distinctif pour le Benelux.

Il n’y a donc aucune raison d’admettre que le consommateur à atteindre dans le Benelux sur base du signe déposé ne pourrait pas distinguer les produits et services que le demandeur veut commercialiser d’autres produits et services similaires mis dans le commerce par des concurrents.

22. On ne peut pas davantage admettre que pour chacun des services énumérés par le demandeur dans les classes 41 et 42, les concurrents potentiels de l’appelant seraient gênés illicitement par la combinaison verbale déposée à la suite de l’octroi de droits de marque exclusifs sur le signe.

Le BBM ne peut pas fonder son attitude sur un motif tiré de la préservation de l’intérêt général.

23. Enfin, le BBM objecte que si le motif de refus pris du défaut de caractère distinctif ne fait pas obstacle à l’enregistrement, la marque doit être refusée en raison de son caractère trompeur (article 6bis alinéa 1er, b, juncto article 4 alinéa 2 LBM).

La fin de non recevoir opposée par l’appelante ne peut être accueillie.

24. En effet, l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM prescrit impérativement que l’enregistrement est refusé en présence d’un des motifs de refus prévus dans cet article.
La Cour de justice CE a décidé que l’autorité en matière de marques exerce sa mission dans l’intérêt général (voyez le numéro 11).

Les mêmes principes s’imposent à la juridiction qui connaît des objections contre une décision du BBM.
Si le motif de refus avancé par le BBM est présent, la cour doit dès lors refuser l’enregistrement.

25. Le caractère prétendument trompeur est déduit du fait que le signe voudrait faire croire au consommateur que ‘bouger’ a un effet ‘curatif’ alors qu’aucune preuve n’est apportée.

Telle serait la tromperie.

Toutefois, il a déjà été considéré plus haut que la combinaison verbale déposée pour les services souhaités ne prétend pas à des observations médicales scientifiques mais qu’elle appelle en première instance à un style de vie.

Il n’y a pas de raisons d’admettre que dans un environnement social où les indications médicales ont d’ailleurs été exclues de la sphère de la publicité pour les produits et services par le législateur, le consommateur moyen puisse être induit en erreur par la combinaison verbale `move to cure' au sujet du pouvoir curatif de la détente, du sport et des services médicaux.
Le consommateur moyen bien informé, raisonnablement attentif et avisé, est d’ailleurs suffisamment sceptique sur ce point pour déceler une tromperie éventuelle.

26. La conclusion générale est que le BBM a refusé à tort d’enregistrer le signe déposé pour les classes de services demandées pour défaut de caractère distinctif.

Le nouveau motif de refus avancé ne peut pas non plus être accueilli.

La demande est fondée.
.
PAR CES MOTIFS:

LA COUR,

Eu égard à l’article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues en matière judiciaire,

Statuant contradictoirement,

Reçoit la demande et dit qu’elle est fondée.

Oblige le Bureau Benelux des Marques à enregistrer le signe `move to cure’ déposé par le demandeur sous le numéro 0990707 suivant les termes du dépôt pour les classes 41 et 42.

Condamne le défendeur aux dépens de l’instance, fixés à 466,04 euros pour lui-même et à 710,30 euros (euros 186 + euros 58,26 + euros 466,04) pour le demandeur.

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