Numéro de requête 2006/AR/1745

Date
Instance
REC BE
Marque
QUICKFILM
Numéro de dépôt
Déposant
FABRE PIERRE MEDICAMENT S.A., société de droit français
Texte

La COUR D’APPEL DE BRUXELLES,
18 CHAMBRE,


après délibéré, prononce l’arrêt suivant :

R.G. N°. 2006/AR/1745

EN CAUSE DE :

FABRE PIERRE MEDICAMENT S.A., société de droit français dont le siège est établi à F-92100 BOULOGNE (République française), 45, Place Abel Gance, élisant domicile au cabinet de son conseil Me Frédéric GEVERS, avocat à 4000 LIEGE, Thier de la Fontaine 57 b,

Partie requérante,

assistée et représentée par Maître GEVERS Frédéric, avocat à 4000 LIEGE, Thier de la Fontaine 57b.

CONTRE:

L’OFFICE BENELUX DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE, anciennement BUREAU BENELUX DES MARQUES , (marques et dessins ou modèles), Service Commun aux pays du Benelux, institué par la Convention Benelux en matière de Propriété Intellectuelle (marques et dessins ou modèles), ayant la personnalité juridique de droit international en vertu de l’article 1.4 de la Convention Benelux en matière de Propriété Intellectuelle (ci-après dénommé l’OBPI), représentée par le Directeur général de l’Office, dont le siège est établi aux Pays-Bas à 2591 XR La Haye, Bordewijklaan 15,

Partie défenderesse,

assistée et réprésentée par Me EYERS Céline (BRUXELLES) loco Maîtres Ludovic DE GRYSE, avocat à la Cour de Cassation et Brigitte DAUWE, avocats à 1000 BRUXELLES, Central Plaza, rue de Loxum 25.

L’objet du recours

1. Par requête déposée au greffe de la cour le 26 juin 2006, la société de droit français PIERRE FABRE MEDICAMENT s.a. (la requérante) a formé un recours sur le fondement de l’article 6ter de la Loi Uniforme Benelux sur les Marques, contre la décision du BUREAU BENELUX DES MARQUES (BBM) du 26 avril 2006 de refus définitif d’enregistrement de la marque verbale « Quickfilm » au Benelux par le BUREAU BENELUX DES MARQUES (BBM) pour les produits de la classe 5.

2. Le recours tend à entendre ordonner au profit de la requérante l’enregistrement au registre du BBM de la marque verbale « Quickfilm » (enregistrement international n° 825 990 pour la classe 5), et à entendre condamner le BBM au paiement des frais de l’instance. Les frais de l’instance n’ont pas été liquidés par la requérante, ni dans sa requête d’appel, ni dans ses conclusions.

3. Le BBM est devenu l’OFFICE BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE (OBPI). La Loi Uniforme Benelux sur les marques a été remplacée par la Convention Benelux de la Propriété Intellectuelle (CBPI).

La recevabilité du recours

4. Le recours est recevable puisqu’il a été introduit dans le délai de deux mois qui suit la communication du refus définitif de l’enregistrement.

Les rétroactes

5. Suite à un enregistrement auprès de l’ORGANISATION MONDIALE DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE (OMPI) le 14 mai 2004 sous le numéro 825 990 du signe verbal « Quickfilm » pour les produits de la classe 5, à savoir « produits pharmaceutiques ; film soluble contenant un principe actif à usage pharmaceutique », le BBM a communiqué à l’OMPI son refus provisoire selon l’article 5 de l’Arrangement de Madrid par lettre du 8 juin 2005. Le refus provisoire est motivé comme suit : « le signe QUICKFILM se compose uniquement de la qualité QUICK (anglais pour rapide) et de la dénomination générique FILM et est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits mentionnés en classe 5 qui peuvent avoir trait à un film rapide (article 6bis, par. 1er, sous b. et c. de la Loi Uniforme Benelux sur les marques (…) ».

6. Dans le délai de six mois à compter de la date de la précédente lettre du 8 juin 2005 et notamment par une lettre du 6 décembre 2005, le mandataire de la requérante a communiqué au BBM ses observations. Il contestait que la marque QUICKFILM soit descriptive en faisant valoir que la marque ne constitue pas la désignation nécessaire d’un film qui se dissout au contact de l’humidité, à tout le moins en ce qui concerne les produits pharmaceutiques désignés. Il ajoutait que la marque QUICKFILM est un néologisme, constitué de l’association originale d’un terme anglais avec un terme français. Le consommateur ne pourra pas déterminer directement quels sont les produits concernés par la marque QUICKFILM, et il est nécessaire de passer par plusieurs étapes avant de saisir la signification du terme QUICKFILM en relation avec les produits pharmaceutiques. L’association des deux termes QUICK et FILM confère à la marque un caractère distinctif suffisant. Par ailleurs, le terme FILM n’est pas couramment utilisé pour désigner des accessoires de produits pharmaceutiques, et le public utilise le vocable plutôt en relation avec la vidéo de sorte que ce terme ne sera pas directement associé par le consommateur aux tissus ou coton d’ouate usage pharmaceutique. Les signes ou indications dont la marque est exclusivement composée ne sont pas devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce pour désigner les produits ou services pour lesquels ladite marque est présentée à l’enregistrement. A tout le moins et à titre subsidiaire, le mandataire considérait que pour les produits pharmaceutiques revendiqués dans la marque internationale QUICKFILM, le degré de distinctivité est suffisant, et annonçait que la requérante serait disposée à limiter son libellé aux seuls produits pharmaceutiques si cela s’avèrait propice à l’enregistrement de sa marque. En outre, toujours selon le mandataire, l’obtention d’un droit d’enregistrement sur QUICKFILM dans d’autres pays (et notamment dans un pays membre de l’Union européenne) constitue un argument supplémentaire qui démontre la distinctivité du signe QUICKFILM.

7. Les arguments présentés ont été réfutés par le BBM dans sa réplique écrite adressée au mandataire le 18 janvier 2006. Selon le BBM les produits de la classe 5 peuvent avoir trait à des films qui peuvent être appliqués de façon rapide. S’agissant d’un signe composé de mots, le caractère descriptif est constaté non seulement pour chacun des termes pris séparément mais également pour l’ensemble qu’ils composent. En outre, le signe est composé conformément à l’usage linguistique usuel et il n’est donc pas inhabituel dans sa structure. Il ne présente pas d’écart par rapport aux règles lexicales de la langue anglaise mais est formé en concordance avec celle-ci. Il serait contraire à l’intérêt général qu’un monopole soit octroyé sur l’ensemble du territoire Benelux pour le signe QUICKFILM, sans octroyer par la même un avantage injustifié sur des concurrents. L’allégation que le vocable serait plutôt utilisé en relation avec la vidéo n’est pas pertinente, parce qu’un signe verbal doit se voir opposer un refus d’enregistrement si, en au moins une de ses significations potentielles, il désigne une caractéristique des produits ou services concernés. Le fait que d’autres autorités ont accepté le signe QUICKFILM, n’implique pas nécessairement que le BBM soit juridiquement tenu par cette appréciation. En ce qui concerne la suggestion subsidiaire, le BBM confirme que le signe QUICKFILM reste dépourvu de tout caractère distinctif pour la liste limitée des produits.

8. Par sa lettre du 26 avril 2006 le BBM confirmait son refus définitif, se référant à sa lettre précitée du 8 juin 2005.

Le cadre légal

9. L’article 2.11 CBPI sous b) dispose que l’OBPI refuse d’enregistrer une marque lorsqu’il considère que la marque est dépourvue de caractère distinctif, et sous c) qu’il refuse d’enregistrer une marque lorsqu’il considère que la marque est composée exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci.

Appréciation par la cour

10. Il y a lieu, tout d’abord, de rappeler que même s’il y a un chevauchement entre les champs d’application respectifs des motifs absolus d’enregistrement d’une marque (et notamment entre les motifs absolus repris ci-dessus de l’article 2.11, sous b. et c. CBPI), il n’en demeure pas moins que chacun des motifs de refus d’enregistrement est indépendant des autres et exige un examen séparé.

11. Il convient, ensuite, d’interpréter lesdits motifs absolus de refus à la lumière de l’intérêt général qui sous-tend chacun d’entre eux. L’intérêt général pris en considération lors de l’examen de chacun de ces motifs de refus peut, voire doit, refléter des considérations différentes, selon le motif de refus en cause.

12. L’intérêt général sous-jacent à l’article 2.11, b., CBPI, qui s’oppose à l’enregistrement d’une marque dépourvue de caractère distinctif, se confond, à l’évidence, avec la fonction essentielle de la marque qui est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité de l’orgine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance.

13. Sous réserve de l’examen du caractère descriptif dans le sens de l’article 2.11.c de la CBPI, le signe verbal QUICKFILM n’est pas dépourvu de caractère distinctif pour les produits concernés de la classe 5 (à savoir des produits pharmaceutiques ; film soluble contenant un principe actif à usage pharmaceutique), dès lors que rien ne permet de constater que ce signe est inapte à être perçu par le consommateur ou l’utilisateur final comme une indication de la provenance de ces produits, Il garantit l’identité d’origine des produits concernés quant à leur provenance de l’entreprise de la requérante.

14. En effet, le caractère distinctif doit être apprécié in concreto, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception que le publique pertinent en a.

15. S’agissant de produits pharmaceutiques et d’un film soluble contenant un principe actif à usage pharmaceutique, le public pertinent, dans le cas d’espèce, est le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et diligent.

16. S’agissant d’une demande d’enregistrement pour le Benelux, ce consommateur moyen utilise une ou plusieurs langues parlées dans les trois pays concernés, à savoir le français, le néerlandais, l’allemand et/ou le luxembourgeois. Il n’utilise pas l’anglais comme langue courante mais il est raisonnable d’admettre qu’il en a une connaissance passive du moins pour ce qui concerne les mots courants.

17. Ainsi, le public pertinent ne comprend pas, dans le domaine visé par la demande d’enregistrement de la marque, le signe verbal QUICKFILM comme référant dans son ensemble et de manière générale à des produits pharmaceutiques et/ou à un film soluble contenant un principe actif à usage pharmaceutique.

18. Il s’agit, dans la perception du public pertinent, d’une combinaison inhabituelle de deux éléments, même si chacun des deux éléments pris séparément rappelle des mots courants et usuels ayant un contenu précis (à savoir respectivement « rapide » / « snel » et « film »).

19. En effet, s’agissant d’une marque complexe, l’appréciation de son caractère distinctif ne peut se limiter à une analyse de chacun de ses termes ou de ses éléments, considérés isolément, mais doit, en tout état de cause, se fonder sur la perception globale de cette marque par le public pertinent et non sur la présomption que des éléments dépourvus isolément de caractère distinctif ne peuvent une fois combinés, présenter un tel caractère.

20. La seule circonstance que chacun de ces éléments, pris séparément, est dépourvu de caractère distinctif n’exclut pas que la combinaison qu’ils forment puisse présenter un tel caractère.

21. Le résultat obtenu par la juxtaposition inhabituelle de « rapide » / « snel » et « film » n’évoque pas dans le chef du public pertinent une connotation de produits pharmaceutiques ou d’un film soluble contenant un principe actif à usage pharmaceutique.

22. Le signe verbal QUICKFILM ne présente aucun lien direct et concret avec les produits pour lesquels l’enregistrement est demandé.

23. Sous réserve de l’incidence de son caractère prétendument descriptif, il est apte à distinguer les produits concernés quant à leur provenance, de sorte que le refus d’enregistrement fondé sur l’absence de caractère distinctif n’est pas fondé.

24. L’intérêt général sous-jacent à l’article 2.11, c., CBPI, qui s’oppose à l’enregistrement d’une marque dite marque descriptive, exige que les signe ou indications, pouvant servir dans le commerce pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou toute autre caractéristique de celui-ci, soient laissés à la libre disposition de tous.

25. Il convient de relever que, pour qu’une marque constituée d’un mot résultant d’une combinaison d’éléments soit considérée comme descriptive, il ne suffit pas qu’un éventuel caractère descriptif soit constaté pour chacun de ces éléments. Un tel caractère doit être constaté pour le mot lui-même.

26. En règle générale, la simple combinaison d’éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé reste elle-même descriptive desdits caractéristiques.

27. Toutefois, une telle combinaison peut ne pas être descriptive, à condition qu’elle crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion desdits éléments.

28. Dés lors, si, s’agissant d’une marque composée de mots, un éventuel caractère descriptif peut être examiné, en partie, pour chacun de ses éléments, pris séparément, il doit, en tout état de cause, dépendre d’un examen de l’ensemble qu’ils composent.

29. Le BBM (actuellement l’OBPI) est donc tenu de procéder à l’appréciation du caractère descriptif de la marque, considérée dans son ensemble.

30. Comme il a déjà été constaté plus haut, le signe verbal QUICKFILM est composé de deux mots qui sont compris par le public pertinent comme « rapide » / « snel » et « film » et le public pertinent ne les utilise pas pour désigner des produits pharmaceutiques et/ou un film soluble contenant un principe actif à usage pharmaceutique ou l’une de leurs caractéristiques.

31. Même s’il pouvait être admis que le premier mot (« quick » / « rapide » / « snel ») évoque une caractéristique de qualité (à savoir la rapidité), la combinaison de cette caractéristique avec le deuxième mot (« film ») n’évoque nullement une caractéristique des produits concernés. Le signe, pris dans son ensemble, ne décrit pas les caractéristiques des produits concernés. Il n’a pas, en relation directe et immédiate avec les produits concernés, une signification propre. Il n’évoque pas immédiatement et concrètement la dissolubilité d’un produit pharmaceutique. Il s’agit d’un signe inhabituel puisqu’il résulte des recherches par l’OBPI, d’une part, que le mot « quick » n’est jamais utilisé en association avec le mot « film » (mais plutôt en association avec une restauration rapide – les QUICK hamburgers – ou dans le domaine de la communication électronique pour indiquer, par exemple, la vitesse de téléchargement ) (voir la pièce 8 du dossier de l’OBPI) et, d’autre part, que, s’agissant de produits pharmaceutiques, il est plutôt fait mention d’un film qui dissout rapidement (« a quick dissolving film » - voir la pièce 9 du dossier de l’OBPI).

32. Il convient d’ajouter que le mot « film » n’est pas couramment utilisé pour désigner des produits pharmaceutiques et qu’il est plutôt associé aux supports vidéos ou autres produits liés à l’industrie cinématographique, ce qui est confirmé par l’extrait du Harrap’s Multimédia, Anglais-Français, 2000 déposé par l’OBPI (pièce 6).

33. Enfin, il n’est pas prouvé que la marque soit composée exclusivement de signes ou indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce ou susceptible de le devenir.

34. Le signe verbal QUICKFILM n’étant pas dépourvu de caractère distinctif et n’étant pas descriptif, c’est à tort que le BBM (actuellement l’OBPI) a refusé son enregistrement comme marque se référant à l’article 2.11., b. et c., CBPI.

35. Le recours est fondé.

Les dépens

36. Les parties ont déclaré à l’audience où elles ont été entendues qu’elles se tenaient à l’indemnité de procédure de base, fixée par l’arrêté royal du 26 octobre 2007.

38. S’agissant d’un litige dont le montant n’est pas évaluable en argent, il y a lieu de taxer les indemnités de procédure à 1.200 euros.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Vu la loi du 15 juin 1935 relative à l’emploi des langues en matière judiciaire.

Statuant contradictoirement,

Reçoit le recours et le déclaré fondé.

Ordonne à l’ORGANISATION BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE et à son BUREAU de procéder à l’enregistrement dans le registre des marques du Benelux du dépôt international effectué par la requérante le 14 mai 2004 sous le numéro 825 990 du signe verbal « Quickfilm » pour les produits de la classe 5, à savoir « produits pharmaceutiques ; film soluble contenant un principe actif à usage pharmaceutique ».

Condamne la défenderesse aux dépens, liquidés à 1.200 euros pour elle-même et à (186 + 1.200 =) 1.386 euros pour la requérante.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique civile de la chambre 18 de la Cour d’appel de Bruxelles le 13 juin 2008

Où étaient présents : »

Monsieur P. BLONDEEL, Président
Madame C. SCHURMANS, Conseiller
Monsieur K. MOENS, Conseiller
Madame L. NAESSENS, Greffier adjoint principal

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