Numéro de requête 97/823

Date
Instance
REC NL
Marque
kleur oranje
Numéro de dépôt
Déposant
Libertel Groep B.V.
Texte

Prononcé : 4 juni 1998
No de la requête.: 97/823

LA COUR D’APPEL DE LA HAYE, chambre M C-5,

a rendu l'ordonnance suivante à la requête de :

LIBERTEL GROEP B.V.,
dont le siège est à Maastricht,

requérante,
avoué : Me P.J.M. von Schmidt auf Altenstadt,
avocat : Me D.J.G. Visser (Amsterdam),

contre

Le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,

défendeur,
avoué : Me C.J.J.C. van Nispen

La procédure

Par requête reçue au greffe de la cour le 6 novembre 1997, la requérante, dénommée ci-après Libertel, a demandé à la cour d'ordonner au défendeur, dénommé ci-après le Bureau, l'enregistrement du dépôt de la marque constituée de la couleur orange, dépôt effectué le 27 août 1996 sous le numéro 877515.

Par mémoire en défense reçu au greffe de la cour le 26 novembre 1997, le Bureau a demandé à la cour de rejeter la requête et de condamner Libertel aux dépens de la procédure

La procédure orale est intervenue le 6 avril 1998. L’avocat de Libertel et l’avoué du Bureau ont exposé les points de vue des parties à l'aide de notes de plaidoirie. Les deux parties ont eu recours à des pièces.

Examen de la requête

1. La requête a été introduite dans le délai.

2. La requête et les pièces remises au procès font apparaître ce qui suit :

a. Le 27 août 1996, Libertel a déposé auprès du Bureau la couleur orange comme signe sous le numéro 877515 pour les produits et les services dans le domaine des télécommunications dans les classes 9, 35, 36, 37 et 38.

b. Par lettre du 21 février 1997, le Bureau a notifié au mandataire de Libertel le refus provisoire de l'enregistrement du dépôt 877515. Le Bureau a indiqué le motif suivant :

Le signe est composé uniquement de la couleur orange et est dépourvu de tout caractère distinctif au sens de l'article 6bis, alinéa premier, sous a., de la loi uniforme Benelux sur les marques, à moins qu’il n’y ait consécration par l’usage.

c. Au nom de Libertel, il a été fait opposition à ce refus provisoire par lettre du 15 août 1997.

d. Le Bureau n'y a pas vu motif à revoir la décision de refus provisoire. Par lettre du 10 septembre 1997, le Bureau a notifié au mandataire de Libertel le refus définitif de l'enregistrement du dépôt.

3. Libertel demande à la cour d'ordonner au Bureau l'enregistrement en vertu de l’article 6ter de la Loi uniforme Benelux sur les marques (LBM).
Libertel défend le point de vue que l’enregistrement d’un dépôt constitué d’une simple couleur qui n’est sous aucun rapport descriptive ni trompeuse et qui n’est pas non plus usuelle dans les usages honnêtes et constants en matière commerciale pour un type déterminé de produits ou services ne saurait être refusé par défaut de caractère distinctif.
Libertel soutient subsidiairement qu’il y a consécration par l’usage. Elle estime qu’il n’y a pas lieu de retenir la date de dépôt comme date repère ; des faits postérieurs à la date de dépôt doivent également être pris en considération. Elle est au demeurant d’avis que le signe déposé était déjà consacré comme marque par l’usage à la date du dépôt.

4. Le Bureau conteste les thèses de Libertel.

5. Le motif énoncé très sommairement que le Bureau a avancé pour son refus semble avoir une portée générale : selon le Bureau, étant constitué de la couleur orange, le signe est dépourvu de tout caractère distinctif à moins qu’il n’y ait consécration par l’usage. Il ne ressort pas du motif avancé que la relation entre le signe déposé, d’une part, et les produits et services pour lesquels le signe est déposé, d’autre part, soit intervenue dans le refus. Le motif avancé par le Bureau donne l’impression que, selon le Bureau, la couleur orange est dépourvue de caractère distinctif, quels que soient les produits ou services pour lesquels la couleur est déposée comme marque. Cette impression s’est révélée inexacte. Me van Nispen a précisé comme suit le point de vue du Bureau à l’audience (note de plaidoirie sous 14) :

Le BBM [le Bureau] considère que, par elle-même, la simple couleur peut également bénéficier de la protection comme marque autrement qu’au motif de la consécration par l’usage. Tel sera spécialement le cas si une couleur socialement inhabituelle est déposée pour un type spécifique de produit. Ainsi, le produit sel de cuisine est naturellement de couleur grise mais blanc dans le commerce ; quiconque dépose pour le produit (à bien distinguer du conditionnement) sel de cuisine la couleur rouge dépose ab initio un signe distinctif. Il en va de même du violet pour le fromage.

6. La cour considère que l’appréciation du caractère distinctif d’un signe doit toujours être mise en rapport avec les produits ou services pour lesquels le signe est déposé. La cour part du principe que dans la présente affaire, le Bureau n’a pas prononcé son refus in abstracto mais en relation avec les produits et services indiqués par Libertel.

Les marques de couleur en général

7. Les considérations qui précèdent n’empêchent au demeurant pas d’émettre, au sujet du caractère distinctif intrinsèque des couleurs, c’est-à-dire indépendamment des produits et services pour lesquels la couleur est déposée comme marque, des considérations qui peuvent servir de toile de fond à l’appréciation, objet de la présente procédure, de la question de savoir si la couleur orange est dépourvue de tout caractère distinctif pour les produits et services de Libertel.

8. En tant que telles, les couleurs ne sont pas exclues comme marque ni dans la première directive du Conseil rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (89/104), ni dans la LBM. Il n’existe pas davantage une disposition suivant laquelle les couleurs doivent être réputées dépourvues de tout caractère distinctif.

9. Il est notoire que les couleurs contribuent dans une large mesure à distinguer les produits et services les uns des autres.
Les couleurs captent l’attention. Les couleurs aident à opérer une sélection parmi une foule de produits et services dans un supermarché et dans une rue commerçante.
Par ailleurs, on observe dans la pratique que les couleurs sont aptes à indiquer certaines qualités et destinations des produits en particulier. Les couleurs peuvent transmettre un message. Songeons à la couleur rouge et à la couleur bleue pour les emballages de chocolat ; le bleu pour l’emballage de tabac.
On sait aussi que les différentes couleurs suscitent des associations d’idées ou des sentiments divers dont se sert la publicité pour les produits et les services. La couleur noire, par exemple, produit un autre effet que la couleur jaune.

10. Il ne faut pas en inférer pour autant que, par elles-mêmes, les couleurs seraient généralement fort appropriées pour distinguer des produits et services d’autres produits et services et attester suffisamment la provenance d’une entreprise déterminée. Comme marques, les couleurs présentent un “ handicap ”, celui d’être privées intrinsèquement de caractéristiques d’identification additionnelles.
Eu égard aux considérations émises sous le point 9, les couleurs sont dès lors, comme telles, peu appropriées à servir de marque ; en tant que telles, les couleurs sont à cet effet trop “ générales ”, trop peu spécifiques. Il apparaît dans la pratique que les couleurs constituent un élément – souvent important et parfois même prépondérant - d’une marque verbale ou figurative. Les couleurs se révèlent fort appropriées à contribuer au caractère distinctif de signes. La considération précédente est indépendante de la question de l’opportunité d’accepter les marques de couleur. Il est à noter dans ce contexte que le nombre de couleurs du spectre lumineux est limité. En outre, certaines couleurs sont moins appropriées dans certains contextes en raison des associations d’idées évoquées au point 9, ce qui limite encore le nombre de couleurs disponibles. Il faut être conscient que l’acceptation des couleurs comme marque a comme conséquence que les concurrents de titulaires de marques de couleur peuvent être en principe privés “ éternellement ” de la possibilité d’employer certaines couleurs attrayantes pour ou en rapport avec leurs produits et services. Pour le bon ordre, la cour fait remarquer que l’opportunité n’est pas mise en cause, mais bien le caractère distinctif.

11. Les considérations qui précèdent imposent d’emblée une approche critique des dépôts de couleurs. Il y aura d’autant plus lieu de le faire lorsqu’une couleur est déposée non pour un produit spécifique ou un groupe de produits, mais pour une grande série de produits et services.

Le dépôt de la couleur orange pour les produits et services de Libertel

12. Libertel a déposé la couleur orange plus particulièrement pour une grande série de services. Cela veut dire que la marque pourra surtout être utilisée dans des imprimés et toutes sortes de supports publicitaires. Libertel a également déposé la couleur orange pour la catégorie, énoncée en termes généraux et peu spécifique, des “ appareils de télécommunication, parmi lesquels les moyens de télécommunication mobile avec leurs composants, pièces et accessoires, compris dans la cette classe (classe 9) ”.

13. Quant à la couleur orange, il faut faire observer en premier lieu que celle-ci est généralement considérée comme la couleur nationale aux Pays-Bas. L’orange est en outre une couleur particulièrement apte à illustrer des imprimés et d’autres supports visuels. Il est notoire, et la pièce 4 du Bureau en témoigne, que la couleur orange est d’un usage fréquent, notamment dans le contexte de services apparentés aux produits et services de Libertel tels que : les services à distance, la technologie de l’information, les ordinateurs, internet, l’automatisation et la téléphonie mobile. Il ressort par ailleurs des pièces produites par le Bureau que la couleur orange (éventuellement dans diverses nuances) a déjà été déposée comme marque avant le 1er janvier 1996 par 21 déposants pour un large éventail de produits, conditionnements et services.

14. Vu ce qui précède, la cour considère que la couleur orange est dépourvue de tout caractère distinctif pour les produits et services pour lesquels Libertel a déposé la couleur orange comme marque. Il en irait de même si la couleur orange était limitée à une teinte orange déterminée. Le Bureau a eu raison d’affirmer qu’il ne procéderait à l’enregistrement que si Libertel établissait la consécration par l’usage.

La consécration par l'usage

15. Quant au moment où la consécration par l’usage doit être établie, la cour fait remarquer ce qui suit.
La procédure de recours au juge après le refus de l’enregistrement d’une marque n’est pas fort détaillée à l’article 6ter de la LBM. Le Commentaire commun des Gouvernements est, lui aussi, sommaire. Il mentionne entre autres :

Le nouvel article 6ter prévoit une procédure par requête auprès des trois juridictions d’appel dans le Benelux qui y sont désignées pour permettre au juge de censurer les décisions du BBM refusant l’enregistrement d’une marque.

Vu ce texte, la cour estime qu’elle doit uniquement examiner si le Bureau a refusé à bon droit d’enregistrer la marque.Il convient, à cette fin, d’avoir égard à la situation prévalant au moment du dépôt étant donné que ce moment a été déterminant pour le Bureau, vu les dispositions de l’article 6bis. La cour trouve un appui à cette conception dans l’article 3 paragraphe 3 de la Directive précitée qui énonce :

Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1 points b), c) ou d) si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les Etats membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement.

Il faut constater que dans la LBM le législateur Benelux n’a pas fait usage de la faculté que lui offrait la Directive de prévoir qu’une marque n’est pas refusée à l’enregistrement si la marque a acquis un caractère distinctif après la demande d’enregistrement. Le choix du législateur Benelux de ne pas faire usage de la faculté offerte à l’article 3 paragraphe 3 de la Directive a l’avantage de ne pas compliquer ni ralentir les procédures telles que la présente par un débat sur les circonstances de fait après le dépôt ou par des demandes tendant à suspendre l’examen de la requête pour créer de nouvelles circonstances de fait. De plus, on évite que les intérêts des tiers puissent être lésés par un enregistrement “ rétroagissant ” à la date du dépôt. En effet, si l’ordre d’enregistrement était prononcé du fait qu’une marque aurait acquis un caractère distinctif après le dépôt, le droit de marque serait réputé avoir existé à compter de la date de dépôt. La poursuite de l’usage du signe par des tiers, usage ayant commencé après le dépôt de la marque et avant la consécration par l’usage, pourrait sans doute être interdite à la demande du titulaire de la marque.
Il suit de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’enregistrement au motif qu’un signe déposé a acquis un caractère distinctif à cause de la consécration par l’usage après le dépôt.

16. Il faut à présent se demander s’il y avait consécration par l’usage au moment du dépôt.
Il a été constaté ci-dessus qu’une couleur est, en tant que telle, peu appropriée à servir de marque. Il a été constaté en outre que ceci vaut a fortiori pour la couleur orange. Enfin, il a été noté que la couleur orange est en fait utilisée fréquemment, notamment en rapport avec des produits ou services apparentés à ceux pour lesquels Libertel a déposé la couleur orange. Considérant tout ceci, la cour estime que la consécration par l’usage requiert pour le moins un usage de longue durée et, selon la cour, non pas en termes de mois mais en termes d’années. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Il ressort des pièces produites par Libertel que l’usage de la couleur orange avant le dépôt effectué par Libertel a duré environ une année. A une exception près, cet usage était chaque fois concomitant à celui du signe Libertel. Ces pièces ne révèlent pas au demeurant l’usage de la couleur orange pour des produits et services spécifiques. La couleur orange semble surtout avoir été utilisée pour distinguer l’entreprise Libertel. Dans ces conditions, la consécration par l’usage de la couleur orange comme marque n’est pas établie à ce titre.
Il va sans dire du reste que la cour ne peut accéder au souhait de Libertel de lui indiquer précisément le temps nécessaire à la consécration par l’usage. En effet, le temps n’est pas le seul critère. La consécration par l’usage dépend non seulement du temps mais aussi d’autres circonstances, dont les comportements d’autrui.
Enfin, la cour fait remarquer que l’ampleur des dépenses de publicité n’apporte pas, en soi, une indication suffisante sur la consécration par l’usage de la couleur orange pour les produits et services considérés, de la même manière que l’on ne saurait pas décider qu’un examen est réussi en fonction du temps consacré à la préparation dudit examen. Dès lors que le signe Libertel a chaque fois été utilisé dans les actions publicitaires, on ne saurait d’ailleurs affirmer que les dépenses ont été effectuées pour consacrer la couleur orange comme marque par l’usage.

17. En conclusion, il convient de rejeter la requête de Libertel. En ce qui concerne les dépens, la cour ne voit pas de raison de s’écarter de la ligne de conduite adoptée jusqu’ici, à savoir que les dispositions du Code de procédure civile relatives à la procédure par requête seront appliquées par analogie à la procédure dans son ensemble. L’article 429k dudit code donne au juge la faculté de prononcer une condamnation aux dépens. La procédure en question présente une ressemblance telle avec une procédure contentieuse qu’il y a lieu de condamner la partie succombante Libertel aux dépens de la procédure.

Décision

La cour rejette la requête et condamne la requérante aux dépens de la présente procédure, taxés à f 3.840,- jusqu'à ce prononcé pour ce qui concerne le Bureau.

La présente ordonnance a été rendue par les conseillers Brinkhof, Fasseur-van Santen et Van den Ende-Wiefkers, et prononcée à l'audience publique du 4 juin 1998 en présence du greffier.

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