Numéro de requête A 99/1

Date
Instance
CJB (concl. A-G)
Marque
POSTKANTOOR
Numéro de dépôt
Déposant
Koninklijke KPN N.V.
Texte
Affaire A 99/1
 
Koninklijke KPN N.V. contre Bureau Benelux des Marques
 
Prononcé: 30 janvier 2001
Affaire A 99/1
 
Conclusions
de monsieur l'avocat général suppléant L. Strikwerda
 
Koninklijke KPN N.V.
 
contre
 
Bureau Benelux des Marques
 
Brève description de la cause
 
1.         KPN N.V. (ci-après: KPN) a déposé le 2 avril 1997 auprès du Bureau Benelux des Marques (ci-après: le BBM) le signe POSTKANTOOR sous le numéro 890969 comme marque verbale pour des produits dans les classes 16, 35 à 39, 41 et 42.
 
2.         Par lettre du 16 juin 1997, le BBM a informé KPN qu'il refusait provisoirement l'enregistrement du dépôt 890969. Le BBM a indiqué comme motif(s):
 
"Le signe POSTKANTOOR est exclusivement descriptif pour les produits et services mentionnés dans les classes 16, 35, 36, 37, 38, 39, 41 et 42 en ce qui concerne un bureau de poste. C'est pourquoi le signe est dépourvu de tout caractère distinctif au sens de l'article 6bis, alinéa premier sous a, de la loi uniforme Benelux sur les marques (Y)".
 
3.         Par lettre du 15 décembre 1997, KPN a introduit une réclamation contre ce refus provisoire qu'elle a demandé au Bureau de rapporter, sinon d'entrer en négociation avec elle sur un éventuel "disclaimer".
 
4.         Par lettres du 28 janvier 1998, le BBM a informé KPN qu'il n'y avait pas lieu de revenir sur sa décision provisoire et a porté à sa connaissance son refus définitif d'enregistrer le dépôt.
 
5.         Par requête parvenue le 30 mars 1998 au greffe de la cour d'appel de La Haye, KPN a saisi cette cour et lui a demandé, en vertu de l'article 6ter de la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après: la LBM), d'ordonner au BBM d'enregistrer le dépôt pour tous les produits et services refusés, du moins pour les produits et services à déterminer par la cour, éventuellement avec un "disclaimer". KPN défend le point de vue que le signe POSTKANTOOR possède un caractère distinctif, qu'il n'est pas descriptif, du moins qu'il ne l'est pas exclusivement.
 
6.         Le BBM a demandé de rejeter la requête.
 
7.         Après une ordonnance interlocutoire du 3 décembre 1998, la cour d'appel de La Haye a rendu, le 3 juin 1999, une ordonnance par laquelle elle saisit la Cour de justice des Communautés européennes de questions relatives à l'interprétation de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (JOCE 1989, L 40, p. 1).
Simultanément, elle pose des questions d'interprétation de la LBM à la Cour de Justice Benelux.
 
8.         Les parties ont déposé des mémoires auprès de la Cour de Justice Benelux et ont ensuite fait plaider devant elle.
 
Les questions posées par la cour d'appel de La Haye
 
9.         La cour d'appel de La Haye a posé au total seize questions d'interprétation. Les questions I.a, I.b, II, III, IV.b, VII, VIII, IX.b, X.c, XII.b, XIII.b, XIV et XV sont adressées exclusivement à la Cour de Justice Benelux, les questions IV.a, IX.a, X.a, X.b, XI, XII.a, XIII.a et XVI le sont exclusivement à la Cour de justice des Communautés européennes, tandis que les questions V et VI sont adressées aussi bien à la Cour de Justice Benelux qu'à la Cour de justice des Communautés européennes. Parmi les questions posées de l'une ou de l'autre manière à la Cour de Justice Benelux, seules les questions I.a, I.b, II et III peuvent recevoir une réponse sans attendre la décision de la Cour de justice des Communautés européennes sur les questions dont celle-ci est saisie (concurrement ou séparément). Pour ce qui est de toutes les autres questions posées à la Cour de Jus tice Benelux, il convient de suspendre l'instance jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se sera prononcée sur les questions dont celle-ci est saisie (concurrement ou séparément).
 
10.       Les questions auxquelles la Cour de Justice Benelux peut d'ores et déjà répondre s'énoncent comme suit.
 
I.a. Le délai de deux mois visé à l’article 6ter de la loi uniforme Benelux sur les marques (LBM) doit-il être déterminé conformément au droit national applicable - ce qui implique pour les Pays-Bas que le délai peut être prolongé s’il est satisfait aux dispositions de la loi "Algemene termijnenwet" - ou les mots “deux mois” doivent-ils être interprétés dans un sens autonome, propre à la loi uniforme? Dans ce dernier cas, le délai peut-il être prolongé et, dans l'affirmative, à quelles conditions?
 
I.b. Faut-il considérer que lorsque le Bureau n'a pas communiqué au déposant l'avis de refus (en tout ou en partie) de l'enregistrement du dépôt comme prévu à l'article 6bis, alinéa 4, de la LBM, le délai de deux mois visé à l'article 6ter de la LBM prend cours au moment où (conformément à l'article 4, alinéa 1er, du Règlement d'exécution de la LBM) six mois se sont écoulés à compter de la date de l'envoi de la communication (provisoire) visée à l'article 6bis, alinéa 3, de la LBM? Le déposant est-il recevable en sa requête visée à l'article 6ter de la LBM lorsqu'elle est présentée avant la prise de cours du délai de deux mois visé dans cet article ?
 
II. Des principes tels que ceux qu'on appelle en droit (administratif) néerlandais les principes de bonne administration ou les principes généraux du droit (tels l'interdiction de l'arbitraire, le détournement de pouvoir, la légitime confiance, le principe d'égalité) jouent-ils un rôle dans la procédure d’examen visée à l’article 6bis de la LBM et dans la procédure sur requête visée à l'article 6ter de la LBM? Dans l'affirmative, quel effet (au plan formel), et avec quelle étendue, la reconnaissance du bien-fondé d'un moyen tiré de pareil principe peut-elle ou doit-elle avoir sur la décision du Bureau et sur celle du juge? Le juge doit-il d'office avoir égard dans sa décision aux principes précités ? Le contenu des directives publiées du Bureau Benelux des Marques a-t-il une incidence sous ce rapport ?
 
III. Le juge peut-il ou doit-il prononcer une condamnation aux dépens contre le déposant ou le Bureau Benelux des Marques lorsqu'il est la partie succombante ? Dans l’affirmative, les règles de la procédure nationale s’appliquent-elles à la condamnation aux dépens ou celle-ci fait-elle l'objet d'un droit Benelux uniforme? Quelles sont les règles qui déterminent le montant de la condamnation aux dépens si celle-ci fait l'objet d'un droit Benelux uniforme ?
 
Examen de la question I.a
 
11.       Les faits à propos desquels l'interprétation de la Cour de Justice Benelux devra s'appliquer sont les suivants selon l'ordonnance interlocutoire du 3 décembre 1998, rendue par la cour d'appel de La Haye. Par lettres du 28 janvier 1998, le BBM a porté à la connaissance de KPN son refus définitif d'enregistrer le dépôt. La requête introduite par KPN, telle que visée à l'article 6ter de la LBM, n'est parvenue au greffe de la cour d'appel de La Haye que le 30 mars 1998. Cette année-là, le 28 mars tombait un samedi, le 29 mars un dimanche.
 
12.       En vertu de l'article 6bis, alinéa 4, de la LBM, le BBM informe le déposant sans délai et par écrit du refus du dépôt. Le BBM mentionne en outre la voie de recours visée à l'article 6ter de la LBM qui permet au déposant, dans les deux mois qui suivent cette communication, de saisir, en l'occurrence, la cour d'appel de La Haye aux fins d'obtenir un ordre d'enregistrement du dépôt.
 
13.       Par sa question I.a, la cour d'appel de La Haye souhaite savoir si le délai de deux mois visé à l'article 6ter de la LBM doit être fixé conformément au droit national du juge saisi ou d'une manière autonome, propre à la loi uniforme.
 
14.       La LBM elle-même est muette quant à la détermination du délai visé à l'article 6ter. Le Règlement d'exécution de la LBM, établi par le Protocole du 20 novembre 1995, contient cependant en son article 20 des règles relatives à la computation des délais que le Règlement ou la LBM prévoient. Le deuxième alinéa de cet article dispose que:
 
"Si le service de l'autorité compétente est fermé le dernier jour d'un délai prévu par la loi uniforme ou par le présent règlement, ce délai sera prolongé jusqu'à la fin du premier jour d'ouverture de ce service."
 
15.       En vertu de l'article 14, alinéa 3, du Règlement de procédure de votre Cour, arrêté le 18 avril 1988, une règle similaire s'applique aux procédures devant la Cour de Justice Benelux.
 
16.       Il me paraît que la disposition du deuxième alinéa de l'article 20 du Règlement d'exécution de la LBM ne se rapporte pas seulement aux délais mentionnés dans le Règlement proprement dit, mais aussi à ceux figurant dans la LBM. La disposition mentionne en effet un "délai prévu par la loi uniforme ou le présent règlement". Le deuxième alinéa ne concerne pas non plus les seuls "services" nationaux. Il fait en effet état du "service de l'autorité compétente". J'en déduis que la disposition de l'article 20, alinéa 2, du Règlement d'exécution de la LBM vise également le greffe ("service") de la cour d'appel de La Haye ("autorité compétente") et qu'elle est dès lors directement applicable à la détermination du délai tel que visé à l'article 6ter de la LBM.
 
17.       L'article 20, alinéa 2, du Règlement d'exécution de la LBM se prête d’ailleurs naturellement à s'appliquer directement à la détermination du délai prévu à l'article 6ter de la LBM. Il n'y a pas lieu de craindre des contradictions avec les règles nationales qui peuvent différer quant à la détermination des jours fériés légaux et assimilés. En effet, la prolongation du délai est fonction de la situation nationale: si la fermeture du service de l'autorité compétente est bien fixée au plan national, ses effets sur les délais résultant de la LBM sont toutefois réglés à l'article 20, alinéa 2, du Règlement d'exécution.
 
18.       C'est pourquoi je suis d'avis qu'il faudrait répondre à la question I.a que la détermination du délai prévu à l'article 6ter de la LBM doit s'opérer sur le fondement de l'article 20, alinéa 2, du Règlement d'exécution de la LBM, dans le respect des prescriptions de l'Etat concerné en matière de jours fériés légaux et assimilés, à l'égard des heures d'ouverture du greffe de la juridiction désignée à l'article 6ter de la LBM.
 
Examen de la question I.b
 
19.       La question I.b soulève le point de savoir à quel moment le délai de deux mois visé à l'article 6ter de la LBM commence à courir, lorsque le BBM n'a pas communiqué l'avis de refus (total ou partiel) du dépôt, au sens de l'article 6bis, alinéa 4, de la LBM.
 
20.       Dans le cas d'espèce, la cour d'appel de La Haye a constaté que le BBM avait fait à KPN, le 28 janvier 1998, la communication visée à l'article 6bis, alinéa 4, de la LBM. Par conséquent, la décision dans le litige pendant devant la cour d'appel de La Haye n'implique pas la solution de la difficulté d'interprétation de l'article 6ter de la LBM évoquée dans la question I.b. Une décision sur ce point ne peut dès lors pas être estimée nécessaire pour rendre un jugement. Aussi la question posée ne satisfait-elle pas aux conditions fixées à l'article 6, alinéa 2, du Traité relatif à l'institution et au statut d'une Cour de Justice Benelux de sorte que la question n'est pas recevable.
 
Examen de la question II
 
21.       La question II soulève le point de savoir si des principes tels que ceux que l'on entend en droit néerlandais par les principes de bonne administration jouent un rôle dans les procédures visées à l'article 6bis et à l'article 6ter de la LBM.
 
22.               On ne peut pas considérer le BBM comme une autorité administrative au sens de la loi néerlandaise "Algemene wet bestuursrecht". En effet, le BBM a été institué en vertu de l'article 1er de la Convention Benelux en matière de marques de produits et doit dès lors être considéré en droit international public comme une organisation internationale ou intergouvernementale à laquelle, à ce titre, le droit néerlandais n'est pas applicable. Cf. E.J. Daalder et G.R.J. de Groot, Parlementaire geschiedenis van de Algemene wet bestuursrecht, Eerste tranche (loi du 4 juin 1992, Stb. 315), 1993, pp. 134. Voyez aussi L.J.M. van Bauwel, De taak van het Benelux-Merkenbureau, dans: F. Gotzen (éd.), Algemene problemen van Merkenrecht, 1994, pp. 83 et suiv., p. 87. Le BBM n'est donc pas directement lié par les principes généraux de bonne administration qui ont été codifiés dans la loi néerlandaise Algemene wet bestuursrecht. Ce qui ne veut pas dire pour autant que les principes généraux de bonne administration ne pourraient pas constituer la norme à l'égard des décisions à caractère administratif du BBM, ces principes étant d'application indépendamment de la loi Algemene wet bestuursrecht.
 
23.       Le juge visé à l'article 6ter de la LBM est le juge civil. Cf. CJB 26 juin 2000, affaire A 98/2, "Biomild", attendu 14. En droit néerlandais, le juge civil contrôle les actes des pouvoirs publics au regard des principes généraux de bonne administration. Cf. par exemple HR 24 juin 1994, NJ 1994, 592, HR 11 avril 1997, NJ 1997, 455, et HR 9 janvier 1998, NJ 1998, 363, note ARB. En Belgique également, le juge civil semble recourir au critère des principes généraux de bonne administration pour contrôler les actes des pouvoirs publics. Voyez A. Mast et J. Dujardin, Précis de droit administratif belge, 1994, p. 49, et A.J.C. de Moor-van Vugt, Algemene beginselen van behoorlijk bestuur en buitenlandse equivalenten, 1987, pp. 111-113.
 
24.       Les principes généraux du droit, tels que le droit national les a dégagés, ne peuvent pas s'appliquer directement aux procédures prévues par la LBM sans mettre en péril l'objectif de celle -ci. D'après le commentaire que l'exposé des motifs consacre à l'article 1er de la Convention, la finalité de la loi uniforme est de soumettre toutes les marques à des dispositions uniformes, quelle que soit la nationalité de leur titulaire. Il serait contraire à cette finalité d'appliquer directement à la procédure d'examen visée à l'article 6bis de la LBM et à la procédure sur requête visée à l'article 6ter de la LBM, des principes généraux du droit qui ont pris corps dans le droit national et qui peuvent donc varier d'un pays à l'autre. Au sujet, par exemple, des différences entre le droit belge et le droit néerlandais dans l'élaboration et la formulation des principes généraux de bonne administration, voyez De Moor-van Vugt, op.cit., pp. 129 et suiv. (sur les différences de conceptions en matière d'attentes suscitées), A. van Mensel, Het Beginsel van Behoorlijk Bestuur, 2e éd. 1997, pp. 133 et suiv. (sur l'application du principe d'égalité par le Conseil d'Etat de Belgique) et Mast et Dujardin, op.cit., pp. 45 et suiv. Eu égard à l'objectif général d'uniformisation du droit que poursuit la LBM, il n'est donc pas souhaitable que le BBM applique directement les variantes nationales des principes généraux du droit ou des principes généraux de bonne administration dans la procédure visée à l'article 6bis de la LBM ni que le juge fasse de même dans la procédure visée à l'article 6ter de la LBM.
 
25.            Toutefois, il n'en découle pas nécessairement que la Cour de Justice Benelux, de même que le BBM et le juge national, ne puissent avoir égard aux principes généraux du droit en appliquant la LBM. Celle-ci est indissociable de la conscience juridique existant dans les pays du Benelux. Les principes du droit présents dans cette conscience juridique font partie intégrante de l'ordre juridique dans lequel s'enracine la LBM, quelles que soient leurs différences d'élaboration et de formulation. Les principes généraux du droit peuvent dès lors jouer un rôle dans l'application de la loi par les juridictions nationales des Etats membres, par le BBM et par la Cour de Justice Benelux. Cf. F. Dumon, Benelux-Gerechtshof, 1990, p. 75, sous 83ter.
 
26.            L'interrogation porte en réalité sur la forme que ces principes peuvent revêtir pour jouer un rôle et sur leurs effets juridiques. Sous ce rapport, une comparaison s'impose avec la situation de la Cour de justice des Communautés européennes.
Cette Cour applique elle aussi couramment les principes généraux du droit. Bien que ce faisant, elle dégage par la méthode comparative les principes généraux du droit existant dans les systèmes juridiques des Etats membres, il ne s'agit pas pour elle de se livrer à une application de tel ou tel principe, qui n'en retiendrait que le contenu minimum reconnu dans les Etats membres; il n'est pas non plus requis que le principe soit appliqué dans la totalité des Etats membres. Je tire l'observation suivante de l'ouvrage de Kapteyn/VerLoren van Themaat, Inleiding tot het recht van de Europese Gemeenschappen, 5e éd. 1995, p. 171:
 
"(traduction) La recherche par la Cour de la norme applicable repose pour une part importante sur le droit comparé. Cette méthode n'a pas, a priori, pour vocation de dégager le plus grand commun dénominateur, mais elle vise à découvrir les éléments susceptibles de constituer les fondements des principes et des règles de droit communautaire offrant une solution adéquate, équitable et féconde aux questions auxquelles la Cour est confrontée. Dans ce sens, le droit comparé constitue aussi une source d'inspiration pour déterminer le sens spécifique de nombreux termes juridiques employés dans le droit communautaire écrit."
 
Cela signifie que si les principes généraux du droit existant dans la conscience juridique des Etats membres sont certes mis au service du perfectionnement et de la réalisation de la finalité du droit communautaire, leur application peut donner naissance à une forme et à une dynamique spécifiques, s'écartant du droit national. Voyez S. Prechal et T. Heukels, Algemene beginselen in het Nederlandse recht en het Europese recht: rechtsvergelijking en interactie, SEW 1986, pp. 287 et suiv., et G.H. Addink, Algemene beginselen van behoorlijk bestuur, 1999, pp. 49 et suiv. Les applications différentes tiennent aux exigences particulières qu'un marché commun impose à la mise en oeuvre de certains principes. Voyez par exemple les divergences dans l'application du principe de légitime confiance et du principe d'égalité au niveau communautaire et au niveau national (néerlandais), Prechal et Heukels, op.cit., p. 296 et pp. 304/305.
 
27.       Ces considérations me paraissent s'appliquer de même, s'agissant de la signification des principes généraux du droit reconnus dans le droit national de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg pour l'application et l'interprétation des lois uniformes Benelux. Ces principes peuve nt constituer une source d'inspiration en vue de l'application et de l'interprétation de cette législation sans être toutefois directement applicables sous leur aspect national et sans entraîner forcément les mêmes effets juridiques que dans le cadre du droit national.
 
28.       La question II est énoncée en termes très généraux et on ne peut dès lors y répondre, vu ce qui précède, qu'en termes tout aussi généraux: les principes généraux de bonne administration et les principes généraux du droit, tels qu'ils se rencontrent dans le droit des Etats membres, peuvent jouer un rôle dans la procédure d'examen de l'article 6bis de la LBM et dans la procédure sur requête de l'article 6ter de la LBM, dans la mesure où ils sont compatibles avec le système de la LBM et servent la réalisation des objectifs de la loi uniforme. De manière générale, la Cour de Justice Benelux ne peut néanmoins pas décider quels principes le BBM et les juges visés à l'article 6ter de la LBM sont tenus d'appliquer, ni en fixer la formulation ou encore les effets en droit. La seule disposition de l'article 6, alinéa 2, du Traité relatif à l'institution et au statut d'une Cour de Justice Benelux s'y oppose déjà.
 
29.       Les précisions que la cour d'appel de La Haye a apportées à sa question II indiquent que cette juridiction cherche plus précisément à savoir si le BBM est lié par la ligne de conduite qu'il avait montré être la sienne antérieurement en appliquant l'article 6bis de la LBM. Bien qu'il ne résulte pas de l'exposé des faits que la cour d'appel de La Haye ait besoin de la réponse à cette question pour pouvoir statuer en la cause, les mémoires déposés par le BBM et KPN permettent de saisir le pourquoi de la question. KPN a invoqué apparemment le fait que le BBM aurait bel et bien procédé antérieurement à l'enregistrement comme marque verbale d'un dépôt prétendument comparable portant sur le signe POST OFFICE. KPN a argué, semble-t-il, de ce que le BBM avait ainsi donné à croire légitimement que le dépôt de telles marques verbales était enregistrable et de ce qu'il établissait une distinction injustifiée, en refusant le signe POSTKANTOOR comme marque verbale.
 
30.            Comprise dans ce sens plus concret, la question II appelle les observations suivantes. Il va de soi que l'on est en droit d'exiger du BBM qu'il s'acquitte de la mission qui lui incombe en vertu de l'article 6bis de la LBM en se donnant pour objectifs l'application uniforme du droit et la clarification des normes auxquelles il recourt. Lorsqu'il apprécie si le signe déposé correspond à la définition de la marque inscrite à l'article 1er de la LBM, le BBM est appelé à prendre non pas une décision de nature administrative, mais bien une décision concernant le droit. A supposer même que les principes généraux de bonne administration, tels les principes d'égalité ou de légitime confiance invoqués par KPN, puissent être mis en oeuvre dans le contrôle de cette dernière décision, leur effet correcteur ne pourrait s'étendre au point d'obliger le BBM à prendre des décisions contraires à la LBM. En effet, si l'on devait admettre le recours aux principes d'égalité ou de légitime confiance comme KPN le souhaite, le BBM pourrait être tenu d'enregistrer des dépôts de signes qui ne satisfont pas aux conditions fixées dans la LBM.
 
31.       En ce qui concerne les décisions réglementaires, il est assez généralement admis que les principes d'égalité ou de légitime confiance ne peuvent avoir d'effet contra legem. Cf. Addink, op.cit., p. 146 et pp. 163 et suiv., Van Mensel, op.cit., pp. 137 et suiv., et De Moor-van Vught, op.cit., p. 126. A fortiori, s'il agit de décisions sur le droit. Cf. également CJB 26 juin 2000, affaire A 98/2, "Biomild", attendus 32 et 33.
Aussi, serais-je d'avis de n'accorder, dans le cadre de la décision du BBM visée à l'article 6bis, alinéa 1er, de la LBM et dans celui, ensuite, de l'examen du bien-fondé de la décision du BBM dans une procédure en vertu de l'article 6ter de la LBM, aucune signification au fait que d'autres dépôts de signes prétendument dépourvus de tout caractère distinctif ont été enregistrés.
 
Examen de la question III
32.       La question III se subdivise en trois sous-questions:
 
(i) Le juge peut-il ou doit-il prononcer une condamnation aux dépens contre le déposant ou le BBM lorsqu'il est la partie succombante?
 
(ii) les règles de la procédure nationale s'appliquent-elles ou est-ce là l'objet d'un droit Benelux uniforme?
 
(iii) dans cette dernière hypothèse: quelles sont les règles qui déterminent le montant de la condamnation aux dépens?
 
33.       Ni la LBM ni son Règlement d'exécution ne contiennent une disposition quelconque concernant la condamnation aux dépens. En revanche, on trouve à l'article 13 du Traité relatif à l'institution et au statut d'une Cour de Justice Benelux une disposition concernant les frais exposés devant la Cour. Les alinéas 1er et 2 de cet article sont libellés comme suit:
 
"1. En matière juridictionnelle, la Cour fixe le montant des frais exposés devant elle. Ces frais comprennent les honoraires promérités par les conseils des parties pour autant q ue cela soit conforme à la législation du pays où le procès est pendant.
 
2. Les frais ainsi déterminés font partie des dépens sur lesquels il sera statué par la juridiction nationale."
 
34.       Ces dispositions impliquent que les auteurs du Traité sont partis du principe que devant la juridiction nationale, sont applicables les règles nationales déterminant les dépens.
 
35.       Le même principe vaut manifestement pour la procédure visée à l'article 6ter de la LBM. Le Commentaire commun du Protocole du 2 décembre 1992 portant modification de la LBM, qui a introduit la procédure visée à l'article 6ter de la LBM, ne contient aucune indication permettant de supposer que le législateur ait voulu instaurer un régime dérogeant de manière implicite aux règles nationales en matière de frais applicables aux procédures sur requête devant les juridictions civiles des pays du Benelux.
 
36.       J'estime par conséquent qu'il faut répondre à la question III que dans la procédure sur requête visée à l'article 6ter, les règles de la procédure nationale de la juridiction saisie sont applicables pour déterminer si le déposant ou le BBM peut être condamné aux dépens s'il est la partie succombante.
 
Conclusions
 
Je conclus à ce que votre Cour dise pour droit:
 
Sur la question I:
 
que la détermination du délai prévu à l'article 6ter de la LBM doit s'opérer sur le fondement de l'article 20, alinéa 2, du Règlement d'exécution de la LBM, dans le respect des prescriptions de l'Etat concerné en matière de jours fériés légaux et assimilés, à l'égard des heures d'ouverture du greffe de la juridiction désignée à l'article 6ter de la LBM.
 
Sur la question II:
 
que les principes généraux de bonne administration et les principes généraux du droit, tels qu'ils se rencontrent dans le droit des Etats membres, peuvent jouer un rôle dans la procédure d'examen de l'article 6bis de la LBM et dans la procédure sur requête de l'article 6ter de la LBM, dans la mesure où ils sont compatibles avec le système de la LBM et servent la réalisation des objectifs de la loi uniforme; que dans le cadre de la décision du BBM visée à l'article 6bis, alinéa 1er, de la LBM et dans celui, ensuite, de l'examen du bien-fondé de la décision du BBM dans une procédure en vertu de l'article 6ter de la LBM, le fait que d'autres dépôts de signes prétendument dépourvus de tout caractère distinctif ont été enregistrés ne revêt aucune signification;
 
Sur la question III:
 
que dans la procédure sur requête visée à l'article 6ter, les règles de la procédure nationale de la juridiction saisie sont applicables pour déterminer si le déposant ou le BBM peut être condamné aux dépens s'il est la partie succombante.
 
et je conclus, pour le surplus, à ce que votre Cour sursoie à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se sera prononcée sur les questions dont cette dernière a été saisie par la cour d'appel de La Haye concernant l'interprétation de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques.
 
La Haye, le 30 janvier 2001
 
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