Numéro de requête C-239/05

Date
Instance
CJUE
Marque
THE KITCHEN COMPANY
Numéro de dépôt
Déposant
Management, Training en Consultancy (M-T & C) BVBA
Texte
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Affaire C-239/05
 
BVBA Management, Training en Consultancy contre Bureau Benelux des Marques
 
ARRET DE LA COUR (deuxième chambre)
 
15 février 2007( Langue de procédure: le néerlandais. )
Affaire C-239/05
 
«Marques – Directive 89/104/CEE – Demande d’enregistrement d’une marque pour un ensemble de produits et de services – Examen du signe par l’autorité compétente – Prise en considération de tous les faits et circonstances pertinents – Compétence de la juridiction nationale saisie d’un recours»
 
Dans l’affaire C-239/05,
 
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le hof van beroep te Brussel (Belgique), par décision du 30 mai 2005, parvenue à la Cour le 3 juin 2005, dans la procédure
 
BVBA Management, Training en Consultancy
 
contre
 
Bureau Benelux des Marques
 
LA COUR (deuxième chambre),
 
composée de
M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. R. Schintgen, P. Kūris (rapporteur), G. Arestis et L. Bay Larsen, juges,
 
avocat général: Mme E. Sharpston,
 
greffier: M. R. Grass,
 
vu la procédure écrite,
 
considérant les observations présentées:
 
          pour le Benelux-Merkenbureau, par Mes L. de Gryse et B. Dauwe, advocaten,
 
          pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma, en qualité d’agent,
 
          pour la Commission des Communautés européennes, par MM. N. Rasmussen et H. van Vliet, en qualité d’agents,
 
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 juillet 2006,
 
rend le présent
 
Arrêt
 
1          La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la «directive»).
 
2          Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la BVBA Management, Training en Consultancy (ci-après «MT & C») au Benelux-Merkenbureau (Bureau Benelux des marques, ci-après le «BBM») en raison du refus de ce dernier de procéder à l’enregistrement en tant que marque pour divers produits et services du signe verbal «The Kitchen Company» sollicité par MT & C.
 
Le cadre juridique
 
La réglementation communautaire
 
3.         Selon son premier considérant, la directive a pour objet de rapprocher les législations des États membres sur les marques, afin de supprimer les disparités existantes susceptibles d’entraver la libre circulation des produits ainsi que la libre prestation des services et de fausser les conditions de concurrence dans le marché commun.
 
4.            Toutefois, ainsi qu’il ressort du troisième considérant de la directive, celle-ci ne vise pas au rapprochement total des législations des États membres en matière de marques et se limite à rapprocher les dispositions nationales ayant l’incidence la plus directe sur le fonctionnement du marché intérieur.
 
5.         Le cinquième considérant de la directive souligne que les États membres gardent toute liberté pour fixer les dispositions de procédure concernant l’enregistrement des marques et qu’il leur appartient notamment de déterminer la forme de la procédure d’enregistrement.
 
6.         Le septième considérant de la directive précise que la réalisation des objectifs poursuivis par le rapprochement des législations des États membres sur les marques suppose que l’acquisition et la conservation du droit sur la marque enregistrée soient en principe subordonnées, dans tous les États membres, aux mêmes conditions et que les motifs de refus d’enregistrement ou de nullité concernant la marque elle-même, par exemple l’absence de caractère distinctif, doivent être énumérés de façon exhaustive.
 
7.         L’article 3 de la directive, intitulé «Motifs de refus ou de nullité», dispose:
 
«1.      Sont refusé[e]s à l’enregistrement ou susceptibles d’être déclaré[e]s nul[le]s [si elles] sont enregistré[e]s:
 
[…]
 
b)            les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;
 
c)         les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci;
 
[…]
 
3. Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1 points b), c) ou d) si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement.
 
[...]»
 
8.         L’article 13 de la directive, intitulé «Motifs de refus, de déchéance ou de nullité pour une partie seulement des produits ou des services», prévoit:
 
«Si un motif de refus d’enregistrement, de déchéance ou d’invalidation d’une marque n’existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels cette marque est déposée ou enregistrée, le refus de l’enregistrement, la déchéance ou la nullité ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés.»
 
La réglementation nationale
 
9.         La loi uniforme Benelux sur les marques a été modifiée, avec effet à compter du 1er janvier 1996, par le protocole du 2 décembre 1992 portant modification de ladite loi (Moniteur belge du 12 mars 1996, p. 5317, ci-après la «LBM»), en vue de transposer la directive dans l’ordre juridique des trois États membres du Benelux.
 
10.       L’article 1er de la LBM prévoit:
 
«Sont considérés comme marques individuelles les dénominations, dessins, empreintes, cachets, lettres, chiffres, formes de produits ou de conditionnement et tous autres signes servant à distinguer les produits d’une entreprise.
 
[…]»
 
11.        L’article 6 bis de la LBM dispose:
 
«1.        Le Bureau Benelux des marques refuse d’enregistrer un dépôt lorsqu’il considère que:
 
a)         le signe déposé ne constitue pas une marque au sens de l’article 1er, notamment pour défaut de tout caractère distinctif comme prévu à l’article 6 quinquies B, sous 2, de la convention de Paris;
 
[…]
 
2.         Le refus d’enregistrer doit concerner le signe constitutif de la marque en son intégralité. Il peut se limiter à un ou à plusieurs des produits auxquels la marque est destinée.
 
3.         Le Bureau Benelux informe le déposant sans délai et par écrit de son intention de refuser l’enregistrement en tout ou en partie, lui en indique les motifs et lui donne la faculté d’y répondre dans un délai à fixer par le règlement d’exécution.
 
4.         Si les objections du Bureau Benelux contre l’enregistrement n’ont pas été levées dans le délai imparti, l’enregistrement du dépôt est refusé en tout ou en partie. Le Bureau Benelux informe le déposant sans délai et par écrit en indiquant les motifs du refus et en mentionnant la voie de recours contre cette décision, visée à l’article 6 ter.
 
[...]»
 
12.        Aux termes de l’article 6 ter de la LBM:
 
«Le déposant peut, dans les deux mois qui suivent la communication visée à l’article 6 bis, [paragraphe 4], introduire devant la Cour d’appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la Cour d’appel de Luxembourg une requête tendant à obtenir un ordre d’enregistrement du dépôt.
 
[…]»
 
13.       Enfin, dans la procédure d’enregistrement de marques de produits ou de services, le BBM suit la classification des produits et des services établie par l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié (ci-après l’«arrangement de Nice»), auquel les trois États du Benelux sont parties.
 
Le litige au principal et les questions préjudicielles
 
14.       Le 7 avril 2000, MT & C, demanderesse au principal, a déposé auprès du BBM une demande d’enregistrement du signe verbal «The Kitchen Company» en tant que marque pour certains produits des classes 11, 20 et 21 ainsi que pour des services relevant des classes 37 et 42 au sens de l’arrangement de Nice.
 
15.       Les produits et services pour lesquels la protection de la marque était demandée ont été indiqués pour chacune des classes visées. En ce qui concerne la classe 21, la demande portait sur des ustensiles de cuisine ainsi que des articles de vaisselle de table et de cuisine en verre, porcelaine, métaux non précieux, matériaux synthétiques et faïence.
 
16.       Le 24 avril 2001, à titre provisoire, et le 25 février 2002, à titre définitif, le BBM a notifié son refus d’enregistrer la marque verbale «The Kitchen Company» pour absence de caractère distinctif au sens de l’article 6 bis, paragraphe 1, sous a), de la LBM.
 
17.       Il résulte de la décision de renvoi que le BBM n’a pas formulé de conclusion séparément pour chacun des produits et des services pour lesquels la protection était demandée, mais a décidé que le signe déposé est dépourvu de tout caractère distinctif pour l’ensemble de la protection demandée.
 
18.       MT & C a saisi le hof van beroep te Brussel (cour d’appel de Bruxelles) d’un recours, lui demandant d’annuler la décision attaquée et d’ordonner au BBM d’enregistrer la marque, à titre principal, pour toutes les classes demandées et, à titre subsidiaire, pour les classes pour lesquelles la juridiction de renvoi estimerait que la marque déposée présente un caractère distinctif.
 
19.       Le hof van beroep te Brussel a confirmé la décision du BBM selon laquelle le signe verbal «The Kitchen Company» est dépourvu de tout caractère distinctif pour l’ensemble des produits et des services visés dans la demande d’enregistrement à l’exception de certains produits de la classe 21.
 
20.       À cet égard, le hof van beroep te Brussel expose que, parmi les produits appartenant à cette classe, le caractère descriptif de la marque n’existe que pour les ustensiles de cuisine en fonction de leur espèce et de leur destination. Pour les autres produits, la juridiction de renvoi estime que la combinaison des mots «The Kitchen Company» n’évoque pas, par association linguistique spontanée, la destination des produits dans la perception du consommateur moyen. Par conséquent, et contrairement à l’opinion du BBM, cette juridiction considère que, en l’absence de caractère descriptif de la marque et dès lors qu’aucun autre motif de refus d’enregistrement n’avait été soulevé par le BBM ou débattu devant lui, celle-ci possède bien un caractère distinctif pour ces produits.
 
21.            Toutefois, se référant à l’arrêt de la Cour de justice Benelux du 15 décembre 2003, BBM c. Vlaamse Toeristenbond (affaire A 2002/2), le BBM soutient devant la juridiction de renvoi que celle-ci ne peut pas examiner la demande subsidiaire de MT & C, puisque cette dernière n’a pas sollicité un enregistrement limité à certains produits ni dans sa demande initiale ni dans sa réclamation auprès du BBM et que ladite juridiction ne peut pas connaître de demandes qui sortent du cadre de la décision du BBM ou qui n’ont pas été présentées à celui-ci.
 
22.       Le hof van beroep te Brussel estime notamment qu’il découle de l’arrêt de la Cour du 12 février 2004, Koninklijke KPN Nederland (C-363/99, Rec. p. I-1619), que l’autorité compétente doit examiner la demande d’enregistrement pour chacun des produits et des services pour lesquels la protection est demandée, et que cette autorité peut aboutir à des conclusions différentes selon les produits ou services considérés. La juridiction de renvoi considère qu’il devrait logiquement en découler que, dans un tel cas, ladite autorité doive indiquer ces conclusions dans la décision provisoire de refus et, le cas échéant, dans la décision définitive.
 
23.       La juridiction de renvoi relève également qu’il n’est pas exclu que les faits et circonstances pertinents changent entre le moment où l’autorité compétente arrête sa décision et celui auquel la juridiction statue sur le recours formé contre cette décision.
 
24.       Or, le hof van beroep te Brussel considère que, dans un cadre législatif tel que celui fixé par les articles 6 bis et 6 ter de la LBM, une pratique consistant, pour l’autorité compétente, à décider, comme en l’espèce au principal, que le signe déposé est dépourvu de tout caractère distinctif pour l’ensemble de la protection demandée, sans formuler de conclusion séparément pour chacun des produits et des services, peut être de nature à empêcher la juridiction saisie d’un recours contre une telle décision de tenir compte de tous les faits et circonstances pertinents. En effet, l’absence de motif de refus pour l’un des produits mentionnés dans la demande d’enregistrement, mais non pour les autres, peut constituer un fait pertinent pour l’appréciation de cette demande. Toutefois, à défaut de conclusion finale énoncée pour chaque produit ou service séparément, ladite juridiction ne peut pas exercer pleinement son contrôle lorsque la réglementation nationale lui prescrit de ne statuer que dans les limites de la saisine de l’autorité compétente et de la décision de cette autorité.
 
25.       Dans ces conditions, le hof van beroep te Brussel a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
 
«1) À l’issue de son examen de tous les faits et circonstances pertinents intéressant un motif absolu de refus, l’autorité en matière de marques doit-elle indiquer, dans sa décision provisoire et dans sa décision définitive sur [la demande d’enregistrement d’une marque], la conclusion qu’elle tire séparément pour chacun des produits et des services pour lesquels la protection de la marque est demandée?
 
2) Les faits et circonstances pertinents qui doivent être pris en considération par la juridiction en cas de recours contre la décision de l’autorité en matière de marques peuvent-ils être différents en raison du temps écoulé entre les deux [...] décisions ou appartient-il à cette juridiction de ne prendre en considération que les faits et circonstances qui se présentaient au moment où l’autorité en matière de marques a statué?
 
3) L’interprétation que la Cour [...] a donnée dans l’arrêt [Koninklijke KPN Nederland, précité,] fait-elle obstacle à ce que des règles nationales gouvernant la compétence de [ladite] juridiction soient interprétées en ce sens qu’elles empêchent celle-ci de tenir compte de faits et circonstances pertinents qui se sont modifiés ou de se prononcer sur le caractère distinctif de la marque pour chacun des produits et des services en [particulier]?»
 
Sur les questions préjudicielles
 
Sur la première question
 
26.       Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive doit être interprétée en ce sens que l’autorité compétente, lorsqu’elle refuse l’enregistrement d’une marque, est tenue d’indiquer dans sa décision la conclusion à laquelle elle aboutit séparément pour chacun des produits et des services visés dans la demande d’enregistrement, indépendamment de la manière dont cette demande a été formulée.
 
Observations soumises à la Cour
 
27.       À l’estime du BBM, le fait que l’existence d’un motif de refus doit être appréciée à l’égard des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement de la marque est demandé n’impose pas toujours d’indiquer séparément pour chaque produit ou service mentionné dans la demande la raison pour laquelle l’enregistrement doit ou non être refusé.
 
28.       Le gouvernement allemand soutient en revanche que l’autorité compétente doit en principe indiquer dans sa décision la conclusion à laquelle elle aboutit séparément pour chacun des produits et des services pour lesquels la protection de la marque est demandée. Ladite autorité pourrait toutefois se dispenser d’indiquer cette conclusion en particulier pour chacun desdits produits et desdits services pour autant qu’il soit possible de regrouper certains d’entre eux à l’égard desquels l’aptitude du signe à être protégé doit s’apprécier à l’identique.
 
29.       Selon la Commission des Communautés européennes, l’autorité compétente doit motiver sa décision de refuser l’enregistrement d’une marque pour tous les produits et services pour lesquels cet enregistrement est demandé. Elle pourrait toutefois se limiter à une motivation générale si elle estime que celle-ci vaut pour tous les produits et services concernés.
 
Appréciation de la Cour
 
30.       Il convient de rappeler d’emblée que l’examen des motifs de refus énoncés notamment à l’article 3 de la directive, qui est effectué lors de la demande d’enregistrement, doit être approfondi et complet afin d’éviter que des marques ne soient enregistrées de manière indue (arrêt Koninklijke KPN Nederland, précité, point 123 et jurisprudence citée).
 
31.       De surcroît, la Cour a jugé que, dès lors que l’enregistrement d’une marque est toujours demandé au regard de produits ou de services mentionnés dans la demande d’enregistrement, la question de savoir si la marque relève ou non d’un des motifs de refus d’enregistrement énoncés à l’article 3 de la directive doit être appréciée in concreto par rapport à ces produits ou services (arrêt Koninklijke KPN Nederland, précité, point 33).
 
32.       La Cour a également décidé que, lorsque l’enregistrement d’une marque est demandé pour divers produits ou services, l’autorité compétente doit vérifier que la marque ne relève d’aucun des motifs de refus d’enregistrement énoncés à l’article 3, paragraphe 1, de la directive à l’égard de chacun de ces produits ou de ces services et peut aboutir à des conclusions différentes selon les produits ou services considérés (arrêt Koninklijke KPN Nederland, précité, point 73).
 
33.       Par ailleurs, l’article 13 de la directive prévoit que, si un motif de refus d’enregistrement d’une marque n’existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels cette marque est déposée, le refus de l’enregistrement ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés.
 
34.       Il s’ensuit, d’une part, que l’examen des motifs de refus énoncés à l’article 3 de la directive doit porter sur chacun des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement de la marque est demandé et, d’autre part, que la décision par laquelle l’autorité compétente refuse l’enregistrement d’une marque doit en principe être motivée pour chacun desdits produits ou desdits services.
 
35.       Cette conclusion ne saurait être remise en cause lorsque la demande soumise à l’autorité compétente pour un ensemble de produits ou de services ne porte pas subsidiairement sur l’enregistrement de la marque concernée pour des classes particulières de produits ou de services ou pour des produits ou services considérés séparément.
 
36.            L’obligation, pour l’autorité compétente, de motiver le refus d’enregistrement d’une marque à l’égard de chacun des produits ou des services pour lesquels cet enregistrement est demandé résulte également de l’exigence essentielle que toute décision d’une autorité nationale refusant le bénéfice d’un droit reconnu par le droit communautaire puisse être soumise à un contrôle juridictionnel destiné à assurer la protection effective de ce droit et qui, de ce fait, doit porter sur la légalité des motifs (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 1987, Heylens e.a., 222/86, Rec. p. 4097, points 14 et 15).
 
37.            Toutefois, lorsque le même motif de refus est opposé pour une catégorie ou un groupe de produits ou de services, l’autorité compétente peut se limiter à une motivation globale pour tous les produits ou services concernés.
 
38.       Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que la directive doit être interprétée en ce sens que l’autorité compétente, lorsqu’elle refuse l’enregistrement d’une marque, est tenue d’indiquer dans sa décision la conclusion à laquelle elle aboutit pour chacun des produits et des services visés dans la demande d’enregistrement, indépendamment de la manière dont cette demande a été formulée. Toutefois, lorsque le même motif de refus est opposé pour une catégorie ou un groupe de produits ou de services, l’autorité compétente peut se limiter à une motivation globale pour tous les produits ou services concernés.
 
Sur la seconde branche de la troisième question
 
39.       Par la seconde branche de la troisième question, qu’il convient d’examiner ensuite, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui empêche la juridiction saisie d’un recours contre une décision de l’autorité compétente de se prononcer sur le caractère distinctif de la marque pour chacun des produits et des services considéré isolément.
 
Observations soumises à la Cour
 
40.       Le BBM fait valoir que, dans la mesure où elle a trait à la compétence de la juridiction pour se prononcer sur le caractère distinctif de la marque «pour chacun des produits et des services en [particulier]», cette question se confond avec la première et doit recevoir la même réponse. Par ailleurs, dans la mesure où elle évoque une possible contradiction entre l’arrêt Koninklijke KPN Nederland, précité, et l’interprétation des «règles nationales gouvernant la compétence de la juridiction [en cas de recours contre la décision de l’autorité nationale]», la seconde branche de la troisième question manquerait en fait. En effet, il ressortirait dudit arrêt que les limites de la compétence des juridictions nationales sont établies par des règles de droit interne.
 
41.       Le gouvernement allemand soutient au contraire que la limitation du contrôle juridictionnel par des règles nationales est exclue en ce qui concerne l’appréciation du caractère distinctif de la marque opérée séparément par produit ou par service. Telle qu’interprétée par l’arrêt Koninklijke KPN Nederland, précité, la directive donnerait, sur ce point, aux autorités compétentes des indications obligatoires pour leurs décisions. Selon ce gouvernement, les juridictions qui n’ont vocation, dans leur ordre juridique interne, qu’à vérifier la régularité de ces décisions peuvent et doivent se prononcer aussi par rapport aux produits et aux services, c’est-à-dire sur chacune des classes séparément. Ledit gouvernement ajoute toutefois que l’autorité compétente peut se dispenser d’une indication séparée pour chaque produit ou service lorsqu’il est possible d’énoncer une conclusion synthétique pour des produits et services à l’égard desquels l’aptitude du signe à être protégé doit s’apprécier à l’identique.
 
42.       Pour la Commission, la directive ne s’oppose pas à ce que les règles nationales gouvernant la compétence de la juridiction saisie d’un recours contre la décision de l’autorité compétente soient interprétées en ce sens que, si le déposant de la marque n’a pas formulé une demande subsidiaire d’enregistrement pour les produits et services pour lesquels cette autorité ne soulèverait aucun motif de refus, elles empêchent cette juridiction de donner à ladite autorité l’ordre d’enregistrer la marque pour une partie des produits ou des services. Selon la Commission, la LBM satisfait à la directive, en particulier à ses articles 3 et 13, laquelle laisse aux États membres une grande liberté pour l’élaboration des procédures internes en matière de marques.
 
Appréciation de la Cour
 
43.       À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la directive, ainsi qu’il ressort de son troisième considérant, ne procède pas à un rapprochement total des législations des États membres en matière de marques, mais se limite à rapprocher les dispositions nationales ayant l’incidence la plus directe sur le fonctionnement du marché intérieur.
 
44.       De plus, aux termes de son cinquième considérant, cette directive laisse toute liberté aux États membres pour fixer les dispositions de procédure concernant, entre autres, l’enregistrement des marques, notamment quant à la forme de la procédure d’enregistrement.
 
45.       Selon la jurisprudence constante, en l’absence d’une réglementation communautaire sur un aspect particulier d’une matière qui relève du droit communautaire, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire et ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2001, Clean Car Autoservice, C-472/99, Rec. p. I-9687, point 28 et jurisprudence citée).
 
46.       Or, s’agissant d’une réglementation nationale telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui empêche la juridiction saisie d’un recours contre une décision de l’autorité compétente de se prononcer sur le caractère distinctif de la marque séparément pour chacun des produits et des services visés dans la demande d’enregistrement de cette marque au cas où ni cette demande ni la décision de ladite autorité ne portait sur des catégories de produits ou de services ou sur des produits ou services considérés séparément, une telle limitation des compétences juridictionnelles ne saurait être considérée comme contraire au principe d’effectivité, dès lors, notamment, que l’intéressé, à la suite d’un jugement lui étant pleinement ou partiellement défavorable, pourrait déposer une nouvelle demande d’enregistrement de la marque. Il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier si lesdits principes d’équivalence et d’effectivité sont respectés.
 
47.       Il ressort aussi de la jurisprudence de la Cour que la juridiction saisie d’un recours contre une décision prise sur une demande d’enregistrement d’une marque doit également prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents dans les limites de l’exercice de ses compétences telles que définies par la réglementation nationale applicable (voir, en ce sens, arrêt Koninklijke KPN Nederland, précité, point 36).
 
48.       Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde branche de la troisième question que la directive doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui empêche la juridiction saisie d’un recours contre une décision de l’autorité compétente de se prononcer sur le caractère distinctif de la marque séparément pour chacun des produits et des services visés dans la demande d’enregistrement dès lors que ni cette décision ni cette demande ne portait sur des catégories de produits ou de services ou sur des produits ou services considérés séparément.
 
Sur la deuxième question et la première branche de la troisième question
 
49.       Par sa deuxième question et la première branche de sa troisième question, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui empêche la juridiction saisie d’un recours contre une décision de l’autorité compétente de tenir compte de faits et circonstances postérieurs à la date d’adoption de cette décision.
 
Sur la recevabilité
 
50.       Dans ses observations, le BBM soulève, à titre principal, une exception d’irrecevabilité à l’égard de ces questions.
 
51.       Celles-ci seraient basées sur l’idée que les «faits et circonstances pertinents» à prendre en considération seraient différents en raison du temps écoulé entre la décision prise par le BBM et celle de la juridiction saisie d’un recours contre cette décision. Il ne ressortirait toutefois en rien de la décision de renvoi qu’un tel changement soit effectivement intervenu. Dès lors, ces questions seraient purement théoriques ou hypothétiques et, partant, irrecevables.
 
52.       À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. Néanmoins, la Cour ne peut pas statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale lorsqu’il apparaît de manière manifeste, notamment, que l’interprétation du droit communautaire demandée par cette juridiction n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou lorsque le problème est de nature hypothétique (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2005, Schulte, C-350/03, Rec. p. I-9215, point 43 et jurisprudence citée).
 
53.       Tel n’est pas le cas en ce qui concerne les présentes questions. En effet, la juridiction de renvoi indique que, appelée à statuer sur un recours contre la décision de l’autorité compétente, il est possible que, dans les circonstances de l’affaire au principal, la réglementation nationale l’empêche de tenir compte de tous les faits et circonstances pertinents. Elle suggère qu’un tel fait pertinent dans l’examen de la demande d’enregistrement pourrait être qu’il n’existe aucun motif de refus pour certains produits sur lesquels porte cette demande alors qu’il en existe pour d’autres.
 
54.       Dans ces conditions, il apparaît que la deuxième question et la première branche de la troisième question ne sont pas de nature théorique ou hypothétique et, partant, sont recevables.
 
Observations soumises à la Cour
 
55.       Le BBM soutient que l’article 3 de la directive ne peut offrir aucune réponse à la deuxième question.
 
56.       En s’appuyant sur l’arrêt Koninklijke KPN Nederland, précité, ainsi que sur l’article 3, paragraphe 3, seconde phrase, de la directive, le gouvernement allemand soutient que la question de la limitation de la prise en compte de faits et circonstances qui ne se produisent ou ne se révèlent qu’après la décision de l’autorité compétente relative à la demande d’enregistrement d’une marque relève de la compétence des États membres.
 
57.       La Commission partage cette opinion et ajoute que les règles de droit national qui empêchent un juge de déclarer illégale une décision de l’autorité compétente sur la base de faits et circonstances postérieurs à cette décision doivent satisfaire aux principes d’équivalence et d’effectivité.
 
Appréciation de la Cour
 
58.       La Cour a déjà jugé, d’une part, que l’autorité compétente doit prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents avant d’adopter une décision définitive sur une demande d’enregistrement d’une marque et, d’autre part, que la juridiction saisie d’un recours contre une telle décision doit également prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents dans les limites de l’exercice de ses compétences telles que définies par la réglementation nationale applicable (voir, en ce sens, arrêt Koninklijke KPN Nederland, précité, point 36).
 
59.       Dans de tels litiges, comme l’indique à juste titre la Commission, le juge national est appelé à contrôler la légalité d’une décision déterminée de l’autorité compétente. Or, cette décision n’a pu être prise qu’en fonction des faits et circonstances dont cette autorité pouvait avoir connaissance au moment où elle a statué.
 
60.       Il y a donc lieu de conclure qu’un ordre juridique national peut empêcher une juridiction saisie d’un recours contre une décision de l’autorité compétente de prendre en considération les faits et circonstances postérieurs à cette décision pour en apprécier la légalité.
 
61.       Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question et à la première branche de la troisième question que la directive doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui empêche la juridiction saisie d’un recours contre une décision de l’autorité compétente de tenir compte de faits et circonstances postérieurs à la date d’adoption de cette décision.
 
Sur les dépens
 
62.       La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
 
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:
 
La première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprétée en ce sens:
 
          que l’autorité compétente, lorsqu’elle refuse l’enregistrement d’une marque, est tenue d’indiquer dans sa décision la conclusion à laquelle elle aboutit pour chacun des produits et des services visés dans la demande d’enregistrement, indépendamment de la manière dont cette demande a été formulée. Toutefois, lorsque le même motif de refus est opposé pour une catégorie ou un groupe de produits ou de services, l’autorité compétente peut se limiter à une motivation globale pour tous les produits ou services concernés;
 
          qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui empêche la juridiction saisie d’un recours contre une décision de l’autorité compétente de se prononcer sur le caractère distinctif de la marque séparément pour chacun des produits et des services visés dans la demande d’enregistrement dès lors que ni cette décision ni cette demande ne portait sur des catégories de produits ou de services ou sur des produits ou services considérés séparément;
 
          qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui empêche la juridiction saisie d’un recours contre une décision de l’autorité compétente de tenir compte de faits et circonstances postérieurs à la date d’adoption de cette décision.
 
Signatures
 
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