Numéro de requête C.05.0491.N

Date
Instance
CASS BE
Marque
MOVE TO CURE
Numéro de dépôt
Déposant
MAESSCHALCK Lieven
Texte

Numéro d’arrêt: C.05.0491.N
Prononcé: 17 avril 2007

Cour de cassation de Belgique

Numéro d’arrêt: N° C.05.0491.N

BUREAU BENELUX DES MARQUES,
institué en vertu de la Convention Benelux en matière de marques de produits,
dont le siège est à La Haye (Pays-Bas), Bordewijklaan 15,
demandeur,
représenté par Me Ludovic De Gryse,
avocat à la Cour de cassation,
dont les bureaux sont à 1000 Bruxelles, Central Plaza, rue de Loxum 25,
où il est fait élection de domicile,

contre

MAESSCHALCK Lieven,
domiciliée à 9200 Dendermonde, Mechelsesteenweg 136,
défendeur.

I. PROCEDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi en cassation est dirigé contre un arrêt rendu le 30 mai 2005 par la cour d’appel de Bruxelles.

Le premier président Ghislain Londers a fait rapport.
L’avocat général André Henkes a conclu.

II. LES FAITS ET LA PROCEDURE PREALABLE

L’arrêt énonce les faits de la cause comme suit :
Le défendeur a déposé le 31 mai 2001 le signe verbal "Move to cure" comme marque pour des services dans les classes 41 et 42. Le dépôt a été enregistré sous le numéro 0990707. Le 5 mars 2002, le demandeur a communiqué au défendeur qu’il refusait provisoirement l’enregistrement au motif que le signe "Move to cure" était dépourvu de tout caractère distinctif.
Le 15 juillet 2002, le conseil du défendeur a introduit une réclamation circonstanciée.
Le 20 janvier 2003, le demandeur a notifié sa décision définitive de refus au défendeur.
Le défendeur a fait appel de cette décision de refus devant la cour c’appel de Bruxelles.
L’arrêt attaqué a déclaré la demande du défendeur fondée et a obligé le demandeur d’enregistrer le signe "Move to cure", déposé sous le numéro 0990707, comme marque dans les classes 41 et 42.

III. MOYEN DE CASSATION

Le demandeur présente un moyen dans sa requête.

Dispositions légales violées

- article 3, paragraphe 1, plus particulièrement sous b et c, de la première directive n° 89/104 CE du 21 décembre 1988, du Conseil des Communautés européennes rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, dénommée ci-après la directive d’harmonisation;

- les articles 10 (ex 5) et 249, paragraphe 3 (ex 189, paragraphe 3), du Traité du 25 mars 1957 instituant les Communautés européennes, approuvé par la loi du 2 décembre 1957, dans la version consolidée, établie par le Traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, approuvé par la loi du 10 août 1998, modifié par le Traité de Nice du 26 février 2001, approuvé par la loi du 7 juin 2002;

- les articles 1 et 6bis, alinéa 1, sous a, et 6ter, de la loi uniforme Benelux sur les marques (LBM), annexée à la Convention Benelux en matière de marques de produits du 19 mars 1962, approuvée par la loi du 30 juin 1969, modifiée par les protocoles du 2 décembre 1992 et du 7 août 1996, approuvés par les lois du 11 mai 1995 respectivement du 3 juin 1999;

- les articles 1 et 6bis, alinéa 1, sous b et c, et 6ter, alinéa 1er, de la loi uniforme Benelux sur les marques, telle que modifiée par le Protocole du 11 décembre 2001, approuvé par la loi du 24 décembre 2002, entré en vigueur le 1er janvier 2004.

- article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris du 20 mars 1883 pour la protection de la propriété industrielle (version de Stockholm du 14 juillet 1967), approuvée par la loi du 26 septembre 1974.

Décisions critiquées

L’arrêt attaqué déclare la demande de la défenderesse fondée et "oblige (le demandeur) d’enregistrer le signe `move to cure' qui a été déposé par (le défendeur) sous le numéro 0990707 selon les termes du dépôt pour les classes 41 et 42".

Il s’appuie sur les considérations suivantes :

"15. Les signes et les indications descriptifs qui ne sont pas admissibles à l’enregistrement comme marque sont donc seulement ceux qui peuvent servir, dans un usage normal du point de vue du consommateur, pour désigner soit directement, soit par la mention d'une de ses caractéristiques essentielles, un produit ou un service tel que celui pour lequel l'enregistrement est demandé. (CJCE, 20 septembre 2001, en cause Procter & Gamble, C-383/99, point 39)."

(…)

16. Dans le cas présent, la demanderesse a adopté comme signe distinctif pour les services dans les classes désirées – détente, activités sportives et services de nature médicale – une combinaison de trois mots anglais `move to cure'.
Ni cette combinaison verbale, ni les éléments qui la composent n’appartiennent en tant que tels, sur le territoire du Benelux, au langage courant dans une des langues qui y sont parlées par les consommateurs locaux auxquels le signe s’adresse pour désigner les services mentionnés ni pour en indiquer les caractéristiques essentielles.

(…)

17. La combinaison verbale peut être et sera donc traduite par le consommateur Benelux visé en néerlandais, ce qui est du reste voulu.

Dans ce contexte, il faut constater que la traduction n’impose pas nécessairement une approche ‘littérale’ – ‘bouger pour guérir’ – mais que le signe peut être aussi compris dans le sens du ‘mouvement comme cure de santé’.

'Cure' ne veut donc pas dire forcément ‘guérir’, mais peut tout aussi bien signifier ‘ce qui évite de devoir guérir'.

18. On ne peut donc pas admettre que dans la perception du consommateur moyen visé, les mots `move to cure' évoquent les services eux-mêmes ou les caractéristiques essentielles de ceux-ci sur la base d’un réflexe linguistique spontané.

D’abord, l’anglais n’apporte pas d’usage spécifique dans la sphère des services pour lesquels la demanderesse a demandé l’enregistrement.

D’autre part, le slogan dans son ensemble donne d’ailleurs un surplus par rapport aux trois mots séparément.

Ceci est inhérent à et le but d’un slogan.

19. L’ensemble n’évoque pas un constat médical avéré mais appelle plutôt à un état d’esprit volontariste et vise en résumé à faire comprendre que ‘bouger’ peut contribuer à un style de vie plus sain, en particulier avec le sport et dans le choix du divertissement.

Enfin, ‘bouger’ n’est pas en tant que tel propre aux services de nature médicale de sorte que l’on n’observe même pas d’aspect descriptif à la lumière de ce service ou de ses caractéristiques essentielles.

20. Rien de descriptif ne peut non plus se déduire du slogan en termes de ‘destination’ des services.

Dans le contexte du droit des marques, il faut comprendre l’indication de la destination de produits ou services, en tant qu’étalon du caractère descriptif d’un signe, en ce sens que le lien entre le signe et les produits ou services est indéniable.

Il ne suffit donc pas qu’il puisse y avoir parfois un lien de destination entre le signe et les produits ou services.

La détente, le sport et les services médicaux peuvent être envisagés à la lumière du ‘mouvement’ et de la ‘guérison’ ou de la ‘santé’ mais on ne peut soutenir pour aucune des trois catégories qu’il y a un lien de destination incontestable".

Griefs

Première branche

En ce que l’arrêt décide que le signe déposé ne peut pas être considéré comme "descriptif" et ne pouvait dès lors pas être refusé parce qu’il ne mentionne pas une caractéristique "essentielle" ou "substantielle" des services concernés, il ajoute à tort une condition au fondement légal du refus de l’enregistrement comme marque d’un signe en raison

de son caractère descriptif et du défaut de caractère distinctif.

L’article 3, paragraphe 1, de la directive d’harmonisaion dispose que

"Sont refusés à l'enregistrement
(…)
b. les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;
c. les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d'autres caractéristiques de ceux-ci".

Ainsi qu’il est confirmé expressément par la jurisprudence récente de la Cour de justice citée dans le développement, il est indifférent pour déterminer si une marque relève de ce motif de refus de l’article 3, paragraphe 1, sous b ou c, de la directive 89/104 que les caractéristiques des produits ou services qui peuvent être décrites soient commercialement "essentielles" ou "accessoires". La disposition citée de la directive ne fait effectivement aucune distinction selon la nature ou l’"intérêt" des caractéristiques décrites.

L’article 6bis, alinéa 1er, sous b et c, de la loi Benelux sur les marques qui, depuis le protocole modificatif du 11 décembre 2001, entré en vigueur le 1er janvier 2004, est identique à la disposition susmentionnée de la directive, ne fait pas non plus de distinction en ce qui concerne les "caractéristiques" indiquées et ne comporte pas la condition que la "description" concerne une caractéristique "essentielle".

Pareille distinction ou condition ne peut pas davantage être trouvée dans le texte de la loi Benelux sur les marques, tel qu’il était applicable à la présente affaire, avant le protocole du 11 décembre 2001.

En vertu de l’ancien article 6bis, alinéa 1a, de la loi Benelux sur les marques, telle que modifiée par les protocoles du 2 décembre 1992 et du 7 août 1996, "le Bureau Benelux des Marques refuse d’enregistrer un dépôt, lorsqu’il considère : a. que le signe déposé ne constitue pas une marque au sens de l’article 1er, notamment pour défaut de tout caractère distinctif comme prévu à l’article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris".

Ces dispositions doivent également être interprétées conformément à la directive d’harmonisation, plus particulièrement à la disposition susmentionnée de cette directive.

En vertu des articles 10 (ex 5) et 249 (ex 189) du Traité instituant la Communauté européenne, tel que modifié, le juge national, en l’espèce la cour d’appel de Bruxelles, est effectivement tenu, conformément à l’article 6ter de la loi uniforme Benelux sur les marques, d’interpréter le droit national applicable à la lumière du texte et de la finalité de la directive. Il doit évidemment tenir compte de la jurisprudence récente de la Cour de justice CE.

En soumettant le motif de refus tiré du caractère "descriptif" du signe déposé à la condition additionnelle que ce motif de refus, dans le cas de signes qui décrivent les "caractéristiques" ou "propriétés" des services concernés, vaut uniquement pour autant qu’il concerne des caractéristiques "essentielles" ou "substantielles", l’arrêt attaqué a ajouté illégalement une condition à ce motif de refus. Ce faisant, l’arrêt a violé la disposition susvisée de la directive d’harmonisation, telle que celle-ci doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice CE.

Etant donné que les dispositions applicables invoquées de la loi Benelux sur les marques doivent être interprétées et appliquées conformément à la directive d’harmonisation, l’arrêt a violé également ces dispositions pour les mêmes raisons.

L’arrêt attaqué a donc méconnu toutes les dispositions invoquées dans le moyen.

Seconde branche

Le motif de refus visé à l’article 3, paragraphe 1, sous c, de la directive d’harmonisation porte entre autres sur les "qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner (..) la destination (...) des produits ou services".

Il n’est pas nécessaire que les signes ou dénominations visés dont la marque est composée soient utilisés effectivement au moment de la demande d’enregistrement pour la description de la destination visée. Il est suffisant qu’ils "puissent" servir à cette fin. L’enregistrement d’un signe verbal comme marque doit dès lors être refusé en vertu de cette disposition s’il désigne une caractéristique des produits ou services concernés dans au moins une des significations potentielles.

L’arrêt admet que "le divertissement, le sport et les services médicaux (.) puissent être considérés aussi à la lumière du 'mouvement’ et de la 'guérison' ou de la 'santé". Il décide cependant que "pour aucune des trois catégories, on ne peut soutenir qu’il se présente un lien de destination 'indéniable’ entre le signe 'move to cure' et les services concernés)". Le "lien" visé entre le signe et la destination des services doit, selon l’arrêt, être "indéniable" comme critère du caractère descriptif du signe, autrement dit, selon l’arrêt, "il ne suffit donc pas qu’il puisse parfois se présenter un lien de destination entre le signe et les produits ou services".

En soumettant ainsi le motif de refus tiré du caractère descriptif du signe déposé relativement à la destination des services à la condition additionnelle du caractère indéniable du lien suggéré par le signe descriptif avec la destination des services, l’arrêt a violé l’article 3, paragraphe 1, sous c, de la directive d’harmonisation, telle que cette disposition doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence (citée dans le développement) de la Cour de justice CE.

En effet, ainsi qu’il est exposé ci-dessus, il est seulement requis pour l’application de ce motif de refus que le signe – éventuellement à l’avenir - "puisse" servir dans une de ses significations "potentielles" à désigner une caractéristique (entre autres) la destination des produits ou services concernés.

Pareille "possibilité" est admise par l’arrêt. Toutefois, elle n’est pas jugée suffisante à tort et "un lien de destination indéniable" a été requis en violation de la disposition concernée de la directive, telle qu’elle doit être interprétée.

Pour les mêmes raisons qui conduisent à conclure à la violation de la disposition invoquée de la directive d’harmonisation, l’arrêt est également entaché par la violation des dispositions invoquées dans le moyen de la loi Benelux sur les marques qui doivent être interprétées et appliquées conformément à la directive d’harmonisation. Même dans les considérations décisives, visées dans la seconde branche du moyen de cassation, l’arrêt viole donc toutes les dispositions invoquées dans le moyen.

IV. LA DECISION DE LA COUR

Appréciation

Sur la seconde branche

1. Conformément à l’article 6bis, 1, a), de la loi Benelux sur les marques, qui est applicable en l’espèce, le Bureau Benelux des Marques refuse d’enregistrer un dépôt lorsqu’il considère que le signe déposé ne constitue pas une marque au sens de l’article 1er de cette loi, notamment pour défaut de tout caractère distinctif comme prévu à l’article 6quinquies, sous 2, de la Convention de Paris.
Cette disposition légale doit être interprétée et appliquée conformément à l’article 3, 1, b) et c), de la directive 89/104/CE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques.

2. La Cour de justice a décidé (CJCE, 12 février 2004, affaire C-363/99, Koninklijke KPN Nederland NV c/ Bureau Benelux des Marques; CJCE, 12 février 2004, affaire C-265100, Campina Melkunie BV c/ Bureau Benelux des Marques) qu’il n’est pas nécessaire pour refuser l’enregistrement pour défaut de caractère distinctif que les signes ou les dénominations dont la marque se compose soient effectivement utilisés au moment de la demande d’enregistrement pour la description des produits ou services tels que ceux pour lesquels la demande est introduite ou des caractéristiques de ces produits ou services. Il suffit que ces signes et dénominations puissent servir à cette fin. L’enregistrement d’un signe verbal comme marque doit être refusé dès lors lorsqu’il désigne une caractéristique des produits ou services concernés dans au moins une de ses significations potentielles.

3. Les juges d’appel décident que "dans le contexte du droit des marques, il faut comprendre l’indication de la destination de produits ou services, en tant qu’étalon du caractère descriptif d’un signe, en ce sens que le lien entre le signe et les produits ou services est indéniable" et qu’"il ne suffit donc pas qu’il puisse y avoir parfois un lien de destination entre le signe et les produits ou services".

Les juges d’appel décident ensuite que dans les termes de la destination des services pour lesquels l’enregistrement est demandé, rien de descriptif ne peut être déduit du signe verbal "move to cure" au motif que "la détente, le sport et les services médicaux peuvent être envisagés à la lumière du ‘mouvement’ et de la ‘guérison’ ou de la ‘santé’ mais on ne peut soutenir pour aucune des trois catégories qu’il y a un lien de destination incontestable ".

En statuant ainsi, les juges d’appel ne justifient pas légalement leur décision selon laquelle le défendeur est tenu d’enregistrer le signe "move to cure" comme marque et violent l’article 6bis, 1, a) de la loi Benelux sur les marques.

La branche est fondée.

Autres griefs

4. Les autres griefs ne sauraient entraîne une cassation plus étendue.

Dispositif

La Cour,

Casse l’arrêt attaqué, sauf en tant qu’il déclare la demande recevable

Ordonne que mention sera faite du présent arrêt en marge de l’arrêt partiellement cassé.

Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond.

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Bruxelles, autrement composée.

Le présent arrêt a été rendu à Bruxelles par la Cour de cassation, première chambre, composée du premier président Ghislain Londers, en qualité de président, des présidents de section Robert Boes et Ernest Waûters, et des conseillers Eric Stassijns et Beatrijs Deconinck, et prononcé à l’audience publique du 17 avril 2008 par le premier président Ghislain Londers, en présence de l’avocat général André Henkes, avec l’assistance du greffier adjoint Johan Pafenols.

J. Pafenols
B. Deconinck
E. Stassijns
E. Waûters
R. Boes
G. Londers

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