Numéro de requête R02/040

Date
Instance
REC NL
Marque
PROJECTORGANISATIE BETUWEROUTE
Numéro de dépôt
Déposant
NS Railinfrabeheer BV
Texte

Prononcé : 23 mai 2002
No de la requête.: R02/040

LA COUR D’APPEL DE LA HAYE, chambre MC-5,

a rendu l'ordonnance suivante à la requête de :

la société privée à responsabilté limitée,
NS-RAILINFRABEHEER B.V.,
dont le siège est à Utrecht,

requérante,
(dénommé ci-après : Railinfra
avoué : Me H.J.M. Boukema,

contre

Le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,

défendeur,
(dénommé ci-après : le Bureau)
avoué : Me C.J.J.C. van Nispen

La procédure

Par requête (avec sept annexes) reçue au greffe de la c our le 22 janvier 2002, Railinfra a demandé à la cour d'annuler la décision du Bureau du 21 décembre 2001 et d’ordonner au Bureau de procéder à l'enregistrement du dépôt n° 981137 du signe PROJECTORGANISATIE BETUWEROUTE dans le registre des marques Benelux, tout en condamnant le Bureau aux dépens de l'instance. 

Par mémoire en défense du 8 mars 2002 (avec trois annexes), le Bureau a demandé de rejeter la requête, dépens comme de droit. 

Après que Railinfra eut encore fait verser quelques pièces au dossier de procédure par lettre reçue au greffe de la cour le 14 mars 2002, la procédure orale est intervenue le 18 mars 2002, les parties ayant fait exposer leurs points de vue par leurs avoués conseils à l'aide de notes de plaidoirie. 

Examen de la requête 

1. La requête a été introduite dans le délai. 

2. La requête et les pièces de la procédure font apparaître ce qui suit : 

a. Le 8 janvier 2001, Railinfra a effectué le dépôt Benelux sous le numéro 981137 du signe PROJECTORGANISATIE BETUWEROUTE pour les services suivants : 
Classe 37 : travaux techniques de construction en ce qui concerne le réseau ferroviaire ; construction ; travaux d’installation. 
Classe 39 : Transport ; entreposage de marchandises ; organisation de voyages. 
Classe 42 : services planologiques ; protection de l’environnement et conseils en matière de protection de l’environnement. 

b. Par lettre du 27 avril 2001, le Bureau a notifié le refus provisoire de l'enregistrement du dépôt 981137. Le Bureau a indiqué comme motif : 

"Le signe PROJECTORGANISATIE BETUWEROUTE est exclusivement descriptif pour les services mentionnés dans les classes 37, 39 et 42 en ce qui concerne l’organisation d’un projet ayant pour objet la « betuweroute ». Le signe est dès lors dépourvu de tout caractère distinctif (voyez l'article 6bis, par. 1er, sous a., de la loi uniforme Benelux sur les marques, (…))." 

c. Le mandataire de Railinfra a fait opposition à ce refus provisoire par lettre du 7 mai 2001. 

d. Le Bureau n'a pas vu de motif de revoir son refus provisoire ni dans cette lettre, ni dans la correspondance échangée par la suite avec le mandataire de Railinfra (lettres du Bureau du 5 juin, du 10 juillet et du 28 novembre 2001). 

e. Par lettre du 21 décembre 2001, le Bureau a notifié au mandataire de Railinfra sa décision portant refus définitif de l'enregistrement du dépôt. 

3. Railinfra soutient en ordre principal que le signe qu’elle a déposé n’est pas exclusivement descriptif. Elle allègue à titre subsidiaire que le signe a acquis un caractère distinctif en raison de sa consécration par l’usage. 

Le Bureau conteste le point de vue de Railinfra et a demandé de rejeter la requête. 

4.1. En ce qui concerne la thèse de Railinfra que le signe déposé par elle n’est pas exclusivement descriptif, la cour considère ce qui suit. 

4.2. Le Bureau a fondé sa décision portant refus d'enregistrer le dépôt sur les dispositions de l'article 6bis, alinéa premier, sous a, de la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après : LBM). Cet article a été introduit en vue d’adapter la législation néerlandaise à la directive européenne 89/104/CE (première directive du Conseil des CE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, JOCE 1989 L 40). Aux termes de cette disposition, l'enregistrement est refusé lorsque le signe déposé ne constitue pas une marque au sens de l’article 1er de la LBM, "notamment pour défaut de tout caractère distinctif comme prévu à l’article 6 quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris." 

4.3. L'article précité de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle (ci-après : Convention de Paris) s'énonce comme suit dans sa disposition pertinente : 

“B. Les marques de fabrique ou de commerce, visées par le présent article, ne pourront être refusées à l'enregistrement ou invalidées que dans les cas suivants  : 
1. (...) 
2. lorsqu'elles sont dépourvues de tout caractère distinctif, ou bien composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine des produits ou l'époque de production, ou devenus usuels dans le langage courant ou les habitudes loyales et constantes du commerce du pays où la protection est réclamée ;(…) ”. 

4.4. Railinfra invoque par ailleurs l’arrêt de la Cour de justice de Luxembourg concernant l’admissibilité du signe ‘Baby-Dry’ comme marque communautaire (Cour CE 4 octobre 2001, NJ 2002, 139). La disposition mise en cause dans cette affaire (article 7, § 1, sous c), du Règlement (CE) n° 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, JOCE 1994, L11) est, dans son libellé et sa portée, (quasi) identique à la disposition pertinente de la directive européenne 89/104/CE. Comme il est dit plus haut, la directive a conduit à l’insertion de l’article 6bis, alinéa premier, sous a, de la LBM et cette directive vise, d’après son préambule, une concordance parfaite avec l’article 6quinquies B précité. 

Dans l’arrêt en question, la Cour de justice a considéré entre autres ce qui suit (voir les points 39 et 40 des motifs) : 

«39. Les signes et les indications visés à l'article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94 sont donc seulement ceux qui peuvent servir, dans un usage normal du point de vue du consommateur, pour désigner soit directement, soit par la mention d'une de ses caractéristiques essentielles, un produit ou un service tel que celui pour lequel l'enregistrement est demandé. En outre, une marque qui contiendrait des signes et des indications répondant à cette définition ne devrait être refusée à l'enregistrement qu'à condition qu'elle ne comporte pas d'autres signes ou d'autres indications et, au surplus, que les signes et les indications exclusivement descriptifs qui la composent ne soient pas présentés ou disposés d'une façon qui distingue l'ensemble obtenu des modalités habituelles de désignation des produits ou services concernés ou de leurs caractéristiques essentielles. 
40. S'agissant de marques composées de mots, (…), un éventuel caractère descriptif doit être constaté non seulement pour chacun des termes pris séparément mais également pour l'ensemble qu'ils composent. Tout écart perceptible dans la formulation du syntagme proposé à l'enregistrement par rapport à la terminologie employée, dans le langage courant de la catégorie de consommateurs concernée, pour désigner le produit ou le service ou leurs caractéristiques essentielles est propre à conférer à ce syntagme un caractère distinctif lui permettant d'être enregistré comme marque.» 

5.1. Il convient à présent d’examiner si le signe PROJECTORGANISATIE BETUWEROUTE est à considérer comme exclusivement descriptif pour les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé. Il importe de se demander comment le signe sera compris par le public concerné, dont la cour présume - dès lors que Railinfra n’a pas allégué le contraire - qu’il s’agit du public en général, constitué des consommateurs moyens avertis, prudents et attentifs.

5.2 Le signe déposé est constitué d’une combinaison de mots. Le premier vocable, projectorganisatie, décrit une forme d’organisation. Il a une signification univoque, définie par le Van Dale comme étant : ‘association momentanée de coopération créée en vue de la réalisation d’un projet’. 

Le second vocable, betuweroute, est une dénomination de la ligne de chemin de fer qui, selon Railinfra, sera construite entre Rotterdam et Zevenaar et traversera la Betuwe. Le vocable est entré dans le langage courant comme dénomination de la ligne de chemin de fer. C’est ce qui ressort des pièces produites par le Bureau, mais aussi de l’usage dans des documents officiels émanant des pouvoirs publics (p.ex. l’arrêté 'Tracébesluit Betuweroute') et de l’usage qui en est fait dans les pièces produites par Railinfra elle-même. 

Ainsi qu’il ressort des exemples présentés par le Bureau, du reste non contestés par Railinfra, il est habituel de combiner le vocable projectorganisatie avec un suffixe qui désigne le projet à réaliser. 

Vu les significations exposées ci-dessus, la cour estime que le public concerné comprendra dès lors le signe comme l’indication d’une organisation de projet qui se concentre sur le projet betuweroute. Le signe décrit ainsi les (caractéristiques essentielles des) (produits et) services en ce qui concerne la betuweroute que le public concerné attendra de l’organisation d’un projet. La cour considère que le signe est à tenir pour exclusivement descriptif pour de tels services. Le vocable projectorganisatie n’est rien de plus qu’un terme générique, en soi non significatif, pour un type déterminé de coopération. La Betuweroute n’est que la dénomination usuelle du tronçon de chemin de fer en question. Le signe combine ces deux vocables du langage courant en néerlandais d’une manière parfaitement habituelle pour ces vocables. De ce fait, le signe a une signification univoque, qui est immédiatement compréhensible du public et qui - comme chacun des mots dont il est constitué - est descriptif d’une caractéristique essentielle ou de caractéristiques essentielles de services qui se rapportent à une organisation axée sur le projet betuweroute. 

Le dépôt concerne notamment de tels services. Dans la mesure où Railinfra voudrait soutenir que le signe n’est pas descriptif pour une partie des services pour lesquels il est déposé, la cour doit passer outre à cet argument. Railinfra n’a pas indiqué (à suffisance) lesquels des services mentionnés dans le dépôt seraient visés et, dans sa requête qui tend à faire enregistrer le signe pour tous les services pour lesquels il est déposé, elle n’a pas non plus demandé - en ordre subsidiaire - d’enregistrer le signe pour telle partie des services. 

5.3 La cour rejette l’argument de Railinfra qui tend à dire que le signe n’est pas exclusivement descriptif parce qu’il s’écarte notablement de la formulation dans le langage courant du public concerné des (caractéristiques essentielles des) services en cause. La cour considère qu’il n’y a pas de différence notable au sens visé. Cette conclusion n’est pas infirmée par l’allégation - même si elle était fondée - de Railinfra suivant laquelle une indication purement descriptive se dirait "bouwcombinatie", "aannemingscombinatie" ou "samenwerkingsverband" en combinaison avec le suffixe "betuwelijn". Il suit, en effet, des considérations qui précèdent que le signe déposé est tout autant composé exclusivement de vocables qui sont purement descriptifs pour les mêmes services, tandis que l’éventualité de l’existence d’autres signes exclusivement descriptifs au sens de l’article 6quinquies B de la Convention de Paris n’empêche pas PROJECTORGANISATIE BETUWEROUTE d’avoir un caractère exclusivement descriptif. 

6.1 Railinfra a invoqué par ailleurs le fait que le signe PROJECTORGANISATIE BETUWEROUTE a acquis un caractère distinctif parce qu’il a été consacré par un usage de longue durée. Railinfra affirme à cet égard que la marque de service PROJECTORGANISATIE BETUWEROUTE a bénéficié d’une publicité à grande échelle au milieu de l’année 2000 et qu’elle est utilisée dans des journaux toutes boîtes, des annonces, des publications officielles, des procédures (judiciaires), des documents parlementaires, des lettres, des cartes de visite, des dépliants, etc. Sa thèse est que le signe a dès lors acquis une notoriété dans l’esprit du public concerné comme indication de l’entreprise de Railinfra telle qu’elle participe à la vie des affaires sur commande de l’Etat.

6.2. La consécration du signe comme marque par l’usage requiert qu’il a acquis un degré suffisant de notoriété auprès du public concerné en raison de l’usage de longue durée ou de l’usage fréquent qui en a été fait comme tel. Railinfra n’a pas produit de pièces attestant d’un usage quelconque du signe comme marque, tandis que le Bureau a démenti l’existence d’un pareil usage. La cour fait observer que l’usage du signe dans des procédures judiciaires, des publications officielles et des documents parlementaires n’est pas à considérer sans plus comme un usage en tant que marque. 

D’autre part, il n’apparaît pas (à suffisance) que le signe soit connu du public comme marque. Sur la base des rapports d’enquête (partiels) ‘Draagvlakonderzoek Betuweroute 2001’ et ‘Monitor Betuweroute’ qui ont remis (par la lettre du 14 mars 2002), on peut certes admettre que l’indication Projetorganisatie Betuweroute jouit d’une certaine notoriété auprès du public. D’après les enquêtes, cette notoriété concerne toutefois la notoriété de ‘Projectorganisatie Betuweroute’ comme expéditeur des informations sur la ligne Betuweroute, de sorte que l’indication est utilisée ici comme nom commercial. Dans la mesure où Railinfra veut invoquer l’usage du signe comme nom commercial à l’appui de la consécration par l’usage, le simple usage de ce signe ne constitue pas pour autant un usage d’une marque ressemblante à ce nom commercial, mais qu’il peut en être autrement si le public perçoit en fait l’usage du nom commercial comme un usage du signe aux fins de distinguer les (produits et) services offerts de ceux d’autrui (cf. Cour de Justice Benelux 20 décembre 1996, IER 1997/18 ; ‘Europabank’). 

6.3. Il n’est plus nécessaire d’aborder les autres moyens avancés par le Bureau. 

7. Vu les considérations qui précèdent, la cour estime que le signe déposé est dépourvu de tout caractère distinctif pour les services pour lesquels il est déposé au sens de l'article 6bis, alinéa premier, sous a, de la LBM. 

8. La conclusion est qu'il convient de rejeter la requête de Railinfra. Etant partie succombante, Railinfra sera condamnée aux dépens. 

Décision

La Cour :

Rejette la requête de Railinfra

Condamne Railinfra aux dépens de la présente procédure et fixe ceux-ci à 1818,- euros pour le Bureau jusqu’à ce prononcé. 

La présente ordonnance a été rendue par les conseillers Fasseur-van Santen, Kiers-Becking et Ottevangers, et prononcée à l’audience publique du 23 mai 2002 en présence du greffier.

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