Numéro de requête R05/1162

Date
Instance
REC NL
Marque
EASYLAWYER
Numéro de dépôt
Déposant
GOEDKOOP Michiel Aernout
Texte

Prononcé: 30 mars 2006
Numéro de requête : R05/1162

La cour d’appel de La Haye, chambre MC-5,

a rendu l’ordonnance suivante à la requête de:

MICHIEL AERNOUT GOEDKOOP,
demeurant à Alphen aan den Rijn,
requérant,
(dénommé ci-après: Goedkoop)
avoué: Me R.A. Wolf,

contre

le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
(dénommé ci-après : le Bureau)
mandataires: C.J.P. Janssen et P. Veeze.

La procédure

Par requête (avec cinq productions) parvenue le 27 septembre 2005 au greffe de la cour,  [l’appelant] a demandé à la cour d’ordonner au Bureau l’enregistrement du signe EASYLAWYER dans le registre du Bureau et condamner le Bureau aux dépens de l’instance.

Par mémoire en défense (avec trois annexes) parvenu le 26 octobre 2005 au greffe de la cour, le Bureau a demandé de rejeter la requête de Goedkoop et de condamner Goedkoop aux dépens de l’instance.

La procédure orale sur la requête a eu lieu le 16 janvier 2006. Les deux parties ont exposé à cette occasion leurs points de vue, ce sur base de notes de plaidoirie.

Appréciation de la requête

1. Les pièces de la procédure et les allégations des parties font apparaître ce qui suit :
a Goedkoop a déposé le 14 septembre 2004 le signe EASYLAWYER (avec le numéro de dépôt 1062094) comme verbale pour les services suivants:
Classe 35 Publicité; gestion des affaires commerciales; administration commerciale; travaux de bureau.
Classe 42 Services juridiques. 

b Goedkoop a demandé l’enregistrement accéléré du signe après quoi le Bureau, d’après la copie de l’acte de dépôt (Bureau prod. 1), a enregistré le signe le 24 septembre 2004, en vertu de l’article 6 sous E de la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après: LBM). 

c Par lettre du 27 septembre 2004, le Bureau a notifié son intention de refuser l’enregistrement du signe. Le Bureau a indiqué comme motif :
“Le signe easylawyer est composé exclusivement de la qualité easy (facile en anglais) et du terme générique lawyer (avocat/juriste) et peut servir à désigner l’espèce, la qualité ou la destination des services faciles mentionnés en classes 35 et 42 qui se rapportent à un avocat/juriste. C’est pourquoi le signe est dépourvu de caractère distinctif (article 6bis, alinéa 1er, sous b. et sous c. de la loi uniforme Benelux sur les marques (…)).”

d Goedkoop a, par lettre du 17 février 2005, déposé réclamation contre l’intention du Bureau, alléguant – en résumé – que le signe EASYLAWYER possède bien un caractère distinctif pour les services pour lesquels il est déposé.

e D’après sa lettre du 20 avril 2005, le Bureau n’a pas vu motif à revoir sa décision de refus provisoire dans les objections avancées.

f Par lettre du 29 juillet 2005, le Bureau a notifié à l’[appelant] sa décision portant refus de l’enregistrement du dépôt.

2. La question se pose de savoir comment il convient de comprendre l’ordre d’enregistrement sollicité par l’[appelant], dès lors que le signe en cause a déjà été enregistré en vertu de l’article 6 sous E de la LBM. L’article 6 sous E de la LBM est libellé comme suit :
“Le déposant peut, s'il est satisfait à toutes les conditions visées dans le présent article, demander au Bureau conformément aux dispositions du règlement d'exécution, de procéder sans délai à l'enregistrement du dépôt. Les articles 6bis, 6ter, 6quater, 6sexies et 6septies s'appliquent aux marques ainsi enregistrées, étant entendu que le Bureau Benelux est habilité à décider de radier l'enregistrement et que le titulaire de la marque peut demander en appel le maintien de l'enregistrement.”

3. Comme le fait remarque le Bureau dans son mémoire en défense, point 2, la décision en cause a été présentée à tort comme un refus d’enregistrement au lieu d’une radiation. Vu ce fait et vu la finalité manifeste que poursuit l’introduction du présent recours par Goedkoop, la cour interprète la requête de l’[appelant] comme ayant pour objet le maintien de l’enregistrement.

4. Goedkoop allègue que la combinaison des mots ‘easy’ et ‘lawyer’ produit une indication nouvelle créative qui possède bien un caractère distinctif pour les services concernés. Il relève par ailleurs l’enregistrement de nombreuses marques avec l’élément ‘easy’, reprochant au Bureau l’arbitraire. Le Bureau a contesté de manière motivée les allégations de Goedkoop.

5. Pour apprécier la requête, il est déterminant de savoir si le signe peut être tenu pour conforme à l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM. La décision contestée du Bureau repose sur l’article 6bis, alinéa 1er, sous b et c de la LBM. Ces dispositions énoncent ce qui suit :
‘Le Bureau Benelux refuse d'enregistrer une marque lorsqu'il considère que:
(…)
b. la marque est dépourvue de caractère distinctif;
c. commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit, ou d'autres caractéristiques de celui-ci;
(…)’

6. Les termes de l’art. 6bis, alinéa 1er, sous b et c, de la LBM sont empruntés à l’article 3, paragraphe 1, b et c, de la Directive 89/104/CE (Première directive du 21 décembre 1988 du Conseil des CE rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, JOCE 1989 L 40). La Cour de justice CE a interprété ces dispositions dans ses arrêts du 12 février 2004, en cause C-363/99, POSTKANTOOR (BIE 2005, 106 et IER 2004, 22) et en cause C-265/00, BIOMILD. La Cour de justice a décidé dans ces arrêts qu’une marque verbale dont l’enregistrement – pour des produits ou services déterminés – se heurte à l’article 3, paragraphe 1, c, de la directive, sont nécessairement dépourvus de tout caractère distinctif pour ces produits ou services au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b, de la directive. De plus, la Cour a dit pour droit dans son premier arrêt cité (point 5):

“L'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens qu'une marque constituée d'un mot composé d'éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé est elle-même descriptive des caractéristiques de ces produits ou services, au sens de ladite disposition, sauf s'il existe un écart perceptible entre le mot et la simple somme des éléments qui le composent, ce qui suppose soit que, en raison du caractère inhabituel de la combinaison par rapport auxdits produits ou services, le mot crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le composent, en sorte qu'il prime la somme desdits éléments, soit que le mot est entré dans le langage courant et y a acquis une signification qui lui est propre, en sorte qu'il est désormais autonome par rapport aux éléments qui le composent. Dans ce dernier cas, il y a alors lieu de vérifier si le mot qui a acquis une signification propre n'est pas lui-même descriptif au sens de la même disposition.
Aux fins d'apprécier si une telle marque relève du motif de refus d'enregistrement (…) il est indifférent qu'il existe ou non des synonymes permettant de désigner les mêmes caractéristiques des produits ou services mentionnés dans la demande d'enregistrement ou que les caractéristiques des produits ou services qui sont susceptibles d'être décrites soient essentielles sur le plan commercial ou accessoires.”

7. De manière générale, le caractère distinctif du signe doit être apprécié, d'une part, par rapport auxdits produits ou services et, d'autre part, par rapport à la perception qu'en a le public pertinent, qui est constitué par le consommateur moyen desdits produits ou services, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

8. Il résulte des allégations non contestées de l’appelant sur ce point que (le maintien de) l’enregistrement du signe en cause est demandé pour des services en rapport avec l’intermédiation entre justiciables et avocats, à l’aide d’un site internet, et pour des services en rapport avec l’administration et le marketing pour les cabinets d’avocats raccordés.

9. Le signe en cause se compose des mots anglais ‘easy’ et ‘lawyer’. Le mot ‘easy’ signifie facile. Le mot ‘lawyer’ se traduit par avocat. L’appelant ne conteste pas qu’il s’agit de deux mots connus du public concerné dans le Benelux. ‘Lawyer’ peut être l’indication d’une caractéristique de services destinés à des avocats ou qui se rapportent aux services d’un avocat.
Le préfixe ‘easy’ peut aussi désigner une caractéristique des services concernés. Il ressort des productions du Bureau, non contestées par l’appelant, que ‘easy’ est usuel dans les mots composés dans le Benelux. Il renferme l’idée que quelque chose est facile, abordable, compréhensible, simple à utiliser ou facile à employer. Les deux éléments sont ainsi descriptifs des services concernés. Le signe en soi, avec sa signification littérale : avocat d’un abord facile, peut servir d’indication de services en rapport avec un avocat, avec la caractéristique qu’ils sont faciles ou abordables.

10. Le signe ne s’écarte donc pas de manière perceptible de la simple somme des éléments qui le composent. Ce n’est pas un signe qui crée pour les services concernés une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le composent. Les éléments ne constituent pas une combinaison inhabituelle pour les services concernés. L’emploi de termes anglais est également coutumier pour des services en rapport avec des avocats, surtout lorsque des services sont offerts sur internet. Ce n’est pas une invention lexicale ni une tournure inhabituelle au sens linguistique. Le signe combine des mots d’une manière habituelle, sans qu’il transcende sur le plan conceptuel, visuel ou auditif la somme des éléments isolés.

11. Le signe EASYLAWYER est ainsi exclusivement descriptif des services auxquels le signe est destiné selon l’appelant et pour lesquels il a été enregistré. Le caractère descriptif du signe au sens prémentionné n’est pas affecté du reste par le fait que – du moins selon l’appelant – les services eux-mêmes ne sont pas de nature juridique et que les services d’avocats ne sont pas le plus souvent simples ni abordables.

12. L’appelant demande vainement dans le présent recours de changer les services de la classe 42 mentionnés dans le dépôt (‘Services juridiques’) en ‘services’. La Cour de Justice Benelux a décidé que dans une procédure comme en l’espèce, le juge ne peut pas connaître de prétentions qui sortent du cadre de la décision contestée du Bureau ou qui n’ont pas été soumises au Bureau. Pour ce motif, la Cour de Justice Benelux a décidé qu’il n’est pas possible de donner un ordre d’enregistrement d’un dépôt pour des produits ou services déterminés d’une classe déterminée mentionnée dans le dépôt, si, dans sa décision de refus, le Bureau a pris en considération uniquement la classe dans son intégralité (arrêt du 15 décembre 2003, ‘LANGS VLAAMSE WEGEN’, BIE 2004, 33 en NJ 2004, 347, ainsi que HR 17 mars 2006, ‘EROTISCH HUISHOUDTEXTIEL’, LJN AV0657). Tel est bien le cas en l’espèce. L’appelant invoque vainement sa lettre du 17 février 2005 (prod. 5 de l’appelant). Il préconise dans cette lettre l’enregistrement du signe pour tous les services mentionnés dans le dépôt sans proposer la moindre modification ou limitation.

13. La demande de modification du dépôt se heurte à la limitation du contrôle judiciaire des décisions du Bureau qui est de mise dans le Benelux. La cour a connaissance d’office du fait que la cour d’appel de Bruxelles a soumis des questions d’interprétation à la Cour de Justice CE. Ces questions visent à savoir comment la limitation précitée se rapporte à la directive 89/104/CE (arrêt du 30 mai 2005, ‘THE KITCHEN COMPANY’, pendant devant la Cour de justice comme affaire C-239/05). La question se pose de savoir dans ce contexte s’il n’y a pas lieu de surseoir à statuer dans la présente affaire. La cour estime qu’il n’y a pas lieu de le faire. La modification voulue par l’appelant ne rend pas le signe moins descriptif pour les services auxquels il est destiné selon l’appelant et que le dépôt comprendrait même après la modification. Cette modification ne changerait rien à l’appréciation du signe EASYLAWYER.

14. La cour ne suit pas Goedkoop lorsqu’il allègue que le Bureau (dans la phase de réclamation) ne lui a pas donné suffisamment l’occasion de mieux circonscrire les services. Comme le prescrit l’article 6bis, troisième alinéa, de la LBM, le Bureau a, par lettre du 27 septembre 2004, informé l’appelant de son intention de refuser (lire : radier) l’enregistrement en totalité et en a indiqué les motifs. La loi laisse ensuite au déposant le soin de lever les objections éventuelles dans le délai imparti (voir article 6bis, alinéa 4, de la LBM). La cour ne voit dans le cas présent aucune raison de considérer qu’il aurait fallu donner (plus) l’occasion de s’expliquer.

15. Goedkoop affirme encore que le signe a acquis depuis une signification propre particulière par l’usage qui en a été fait. Cette affirmation est sans objet, dès lors que l’appelant n’affirme pas et qu’il n’est pas apparu qu’il s’agit d’une signification dans le langage normal du public concerné qui se distingue des éléments qui le composent et qui n’est pas elle-même descriptive des services concernés. Dans la mesure où l’appelant voudrait se prévaloir de la consécration du signe comme marque par l’usage qui en a été fait, ce moyen manque en fait à défaut d’une argumentation suffisante.

16. Goedkoop ne saurait pas non plus se prévaloir qu’il existe des marques Benelux avec l’élément easy et en faire le reproche au Bureau. La cour fait remarque qu’il peut s’agir en grande partie de marques déposées avant 1996, et qui n’ont donc pas fait l’objet d’un examen quant au fond. En revanche, il y a lieu de relever le refus des signes EASYTAP (connu par l’ordonnance de cette cour du 13 avril 2000, affaire R98/443) et EASYBANK (connu par l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, 1er septembre 2003, en cause 2001/AR 2075). Il est toutefois déterminant que les enregistrements d’autres signes, sur ordre judiciaire ou non, n’enlèvent rien au défaut de caractère distinctif du signe en cause. La cour doit apprécier le caractère distinctif du signe EASYLAWYER suivant ses mérites propres et sur base des règles applicables. Il est à noter que la nature de l’examen quant au fond du signe déposé au regard des critères visés à l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM implique que les principes généraux du droit comme l’interdiction de l’arbitraire ne peuvent pas jouer de rôle déterminant (Cour de Justice Benelux 29 novembre 2001, ‘POSTKANTOOR’, BIE 2002,14). Le reproche de l’arbitraire est dans cette mesure dénué de fondement.

17. Il découle de ce qui précède que le signe est exclusivement descriptif pour les services concernés et – par conséquent – dépourvu de caractère distinctif pour ces services au sens de l’article 6bis, alinéa 1er, sous c, de la LBM. L’enregistrement du signe ne serait du reste pas conforme à l’intérêt général qui est que les signes descriptifs soient laissés à la libre disposition de toutes les entreprises afin qu'elles puissent les utiliser en décrivant les mêmes caractéristiques de leurs propres produits et services (CJCE 12 février 2004, ‘POSTKANTOOR’, points 55 en 56, loc.cit.).

18. En conclusion, la requête de l’appelant sera rejetée. Etant partie succombante, le requérant sera condamné aux frais de la procédure. La cour fixera ces frais de manière raisonnable comme indiqué ci-après, en prenant en compte que le Bureau s’est représenté à l’instance en vertu de l’article 6ter,alinéa 2, de la LBM.

Décision

La cour:

rejette la requête de Goedkoop;

condamne l’[appelant] aux frais de la procédure et fixe ceux-ci jusqu’à ce prononcé, pour le Bureau Benelux des Marques, à € 1185,-.

La présente ordonnance a été rendue par les conseillers Fasseur-van Santen, Van Lierop et Verduijn, et prononcée à l’audience publique du 30 mars 2006, en présence du greffier.

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