Numéro de requête R05/519

Date
Instance
REC NL
Marque
Vormmerk doekjes doos
Numéro de dépôt
Déposant
The Proctor & Gamble Company
Texte
Prononcé: 12 juillet 2007
Numéro de requête: R05/519
 
La cour d’appel de La Haye, chambre MC-5,
 
a rendu l’ordonnance suivante à la requête de:
 
la personne morale de droit étranger
THE PROCTOR & GAMBLE COMPANY,
dont le siège et les bureaux sont à Cincinnati (Ohio), Etats-Unis d’Amérique,
requérante,
dénommée ci-après: P&G,
avoué: Me H.J.A. Knijff,
avocaat: Me F.W.E. Eijsvogels te Amsterdam,
 
contre
 
l’OFFICE BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE
(marques et dessins ou modèles),
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
dénommé ci-après : l’Office,
mandataires: C.J.P. Janssen et P. Veeze.
 
La procédure
 
Par requête (avec annexes) parvenue au greffe de la cour le 2 mai 2005, P&G a demandé à la cour d’ordonner à l’Office de maintenir l’enregistrement de la marque de forme qu’elle a déposée sous le numéro 1053011 dépens comme de droit.  
Par mémoire en défense (avec annexes) parvenu au greffe de la cour le 13 mai 2005, l’Office a demandé de rejeter la requête de P&G et de condamner P&G aux dépens.
 
Par la suite, P&G, par lettre du 5 août 2005, et l’Office, par lettre du 10 août 2005 ont versé quelques pièces au dossier.
 
La procédure orale d’instruction de la requête a eu lieu le 15 août 2005. P&G a fait exposer à cette occasion son point de vue par Me Eijsvogels et l’Office par M. Janssen, précité, tous deux s’aidant de notes de plaidoirie. L’Office a encore envoyé des pièces par lettre du 15 août 2005. Par lettre du 11 avril 2006, P&G a, avec le consentement de l’Office, introduit d’autres pièces dans la procédure.
 
Appréciation de la requête
 
1)         Les pièces de la procédure et les allégations des parties ont fait apparaître ce qui suit :
 
a)            P&G a déposé le 5 avril 2004, sous le numéro 1053011, la représentation reproduite ci-dessous (en teintes grises) comme marque de forme pour les produits suivants:
 
Cl 3 savons à usage personnel, huiles essentielles, dentifrices, lingettes imprégnées de produits cosmétiques de soins personnels et/ou autres cosmétiques.
 
Cl 5 Produits pharmaceutiques, vétérinaires et hygiéniques ; substances diététiques à usage médical, aliments pour bébés ; emplâtres, matériel pour pansements ; matières pour plomber les dents et pour empreintes dentaires ; désinfectants ; produits pour la destruction des animaux nuisibles ; fongicides ; herbicides ; lingettes imprégnées de lotions médicinales.
 
Cl 16 Papier à usage ménager et sanitaire, à savoir serviettes de cuisine et de bain, rouleaux essuie-tout, serviettes, mouchoirs, lingettes de visage, non compris dans d’autres ctasses, papier toilette, lingettes de papier, langes de papier et/ou cellulose.
 
b)            Le signe déposé a été ensuit enregistré le 9 avril 2004 sous le numéro 0747175, ce vu la requête d’enregistrement accéléré du signe faite par P&G (dépôt accéléré), en vertu de l’article 6, sous E, de la loi uniforme Benelux sur les marques (ci-après : LBM), remplacé entre-temps par l’article 2.8, alinéa 2, de la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (ci-après: CBPI).
 
c)            L’Office a notifié, par lettre du 12 mai 2004, le refus provisoire de l’enregistrement du dépôt. L’Office a donné comme motifs :
"Etant donné que ne peuvent pas être considérés comme marques les signes dont la forme donne une valeur substantielle au produit ou qui est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, le signe est exclu comme marque de forme pour les produits mentionnés dans les classes 3, 5 et 16. En outre, le signe est dépourvu de tout caractère distinctif (article 1, alinéa 2 juncto article 6bis, alinéa 1er, sous a et b, de la loi uniforme Benelux sur les marques, en annexe).”
 
d)            Par lettres du 9 juin, et des 10 et 11 novembre 2004 (avec annexes), (le mandataire de) P&G a objecté contre le refus provisoire que la forme déposée ne donne pas de valeur substantielle au produit, que cette forme n’est pas nécessaire à l’obtention d’un résultat technique et qu’elle n’est pas non plus dépourvue de caractère distinctif. Par lettre du 12 novembre 2004, P&G a allégué (à titre subsidiaire) que la forme a été consacrée comme marque par l’usage qui en a été fait.
 
e)            L’Office a, par lettres du 22 juin 2004 et du 4 février 2005 (avec annexe) fait savoir qu’il ne voyait dans les objections avancées par P&G aucun motif de revoir son refus provisoire.
 
f)            L’Office a ensuite, par lettre du 2 mars 2005, notifié au mandataire de P&G sa décision portant refus de l’enregistrement du dépôt.
 
2)         P&G soutient que la forme déposée possède (intrinsèquement) un caractère distinctif tout en indiquant lors de la procédure orale qu’elle ne faisait plus valoir que le signe a été consacré comme marque par l’usage qui en a été fait. Par ailleurs, P&G soutient que les motifs spécifiques de refus pour les marques de forme prévus à l’article 1er, 2e alinéa, de la LBM et à l’article 6bis, alinéa 1er, sous a, de la LBM ne trouvent pas à s’appliquer dès lors que le signe déposé par elle est constitué par la forme d’un emballage pour des produits, qui ont une forme intrinsèque et sont généralement commercialisés en étant emballés. Enfin, elle conteste que le signe déposé par elle ne serait pas apte à servir de marque de forme, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une forme déposée qui donne une valeur substantielle au produit au sens de l’article 1er, 2e alinéa, de la LBM ou qui est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.
 
3)         L’Office a retiré l’argument que la forme du signe est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique dans son mémoire en défense (point 23) mais a contesté pour le surplus de manière motivée les allégations de P&G.
 
Dispositions applicables
4)         Le refus de l’Office d’enregistrer le dépôt est basé sur l’article 1er, alinéa 2, de la LBM et l’article 6bis, alinéa 1er, sous a et b, de la LBM. Ces dispositions ne s’écartent pas sur le fond des articles 2.1, alinéa 2, et 2.11, alinéa 1er, sous a et b, de la CBPI, à présent applicables, sur lesquels la cour se basera par souci de clarté, sans que ceci ait une incidence sur le résultat de l’appréciation.
 
L’article 2.1 de la CBPI est libellé comme suit :
'1. Sont considérés comme marques individuelles les dénominations, dessins, empreintes, cachets, lettres, chiffres, formes de produits ou de conditionnement et tous autres signes susceptibles d'une représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une entreprise.
2. Toutefois, ne peuvent être considérés comme marques les signes constitués exclusivement par la forme qui est imposée par la nature même du produit, qui donne une valeur substantielle au produit ou qui est nécessaire à l'obtention d'un résultat technique.
(…)'
 
L’article 2.11, alinéa 1er, de la CBPI, est libellé comme suit :
‘L'Office refuse d'enregistrer une marque lorsqu'il considère que:
a. le signe ne peut constituer une marque au sens de l'article 2.1, alinéas 1 et 2;
b. la marque est dépourvue de caractère distinctif;
(…)’
 
5)         Les articles cités doivent être compris à la lumière des articles 2 et 3 de la première directive du 21 décembre 1988 du Conseil des CE, rapprochant les législations des états membres sur les marques, JOCE 1989 L 40 (directive 89/104/CE, ci-après directive marques).
 
L’article 2 de la directive dispose:
‘Peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles d'une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.'
 
L’article 3 de la directive, énumère les motifs de refus ou de nullité de l’enregistrement, est libellé comme suit :
'1. Sont refusés à l'enregistrement ou susceptibles d'être déclarés nuls s'ils sont enregistrés:
a) les signes qui ne peuvent constituer une marque;
b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;
(…)
e) les signes constitués exclusivement:
- par la forme imposée par la nature même du produit
- par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique
- par la forme qui donne une valeur substantielle au produit;
(…)
3. Une marque n'est pas refusée à l'enregistrement ou, si elle est enregistrée, n'est pas susceptible d'être déclarée nulle en application du paragraphe 1 points b ), c ) ou d ) si, avant la date de la demande d'enregistrement et après l'usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition s'applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d'enregistrement ou après l'enregistrement.'
 
Caractère distinctif
6)         L’Office a argumenté que le signe déposé ne possède pas de caractère distinctif pour le produit pour lequel il est déposé. La cour émet les considérations suivantes à ce propos.
 
7)         Une marque possède un caractère distinctif si elle est apte à identifier le produit pour lequel est demandé l’enregistrement comme provenant d’une entreprise déterminée et donc à distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises (cf. Cour de justice CE, 4 mai 1999, affaires C-108/97 et C-109/97, Windsurfing Chiemsee, IER 1999, 30). Il s'ensuit qu'une simple divergence de la norme ou des habitudes du secteur n'est pas suffisante afin d'écarter le motif de refus figurant à l'article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive. En revanche, une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, remplit sa fonction essentielle d'origine n'est pas dépourvue de caractère distinctif (cf. Cour de justice CE, 12 février 2004, affaire C-218/01, Henkel).
 
8)         Il y a lieu d'apprécier le caractère distinctif du signe consistant dans la forme d'un produit, même celui acquis par l'usage qui en a été fait, en tenant compte de la perception présumée d'un consommateur moyen de la catégorie de produits ou services en cause, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. L'identification par les milieux intéressés du produit comme provenant d'une entreprise déterminée doit être effectuée grâce à l'usage de la marque en tant que marque et, donc, grâce à la nature et à l'effet de celle-ci, qui la rendent propre à distinguer le produit concerné de ceux d'autres entreprises (voyez Cour de justice CE, 18 juin 2002, affaire C-299/99, Philips/Remington, NJ 2003, 481).
 
9)         L’article 2 de la directive marques n’impose pas de critères plus sévères concernant le caractère distinctif pour l’appréciation d’une marque tridimensionnelle. En tout état de cause, la perception du consommateur moyen n'est pas nécessairement la même dans le cas d'une marque tridimensionnelle, constituée par l'emballage d'un produit, que dans le cas d'une marque verbale ou figurative, qui consiste en un signe indépendant de l'aspect des produits qu'elle désigne. En effet, les consommateurs moyens n'ont pas pour habitude de présumer l'origine des produits en se basant sur la forme de leur emballage, en l'absence de tout élément graphique ou textuel, et il pourrait donc s'avérer plus difficile d'établir le caractère distinctif s'agissant d'une telle marque tridimensionnelle que s'agissant d'une marque verbale ou figurative (cf. Cour de justice CE dans l’affaire précitée C-218/01).
 
10)       Il convient de prendre en considération ce qui précède pour répondre à la question de savoir si le signe déposé par P&G possède un caractère distinctif pour les produits pour lesquels il est déposé. P&G a déposé la représentation d’une boîte en noir et blanc. Cette boîte, selon P&G, est un emballage (rechargeable) pour des lingettes imprégnées. Selon P&G, l’emballage en question se distingue par (i) la large nervure de couleur plus claire au bas de l’emballage, (ii) la couleur plus claire et la forme du couvercle et (iii) le bouton-poussoir coloré différemment. L’impression globale spécifique ainsi produite et qui n’est pas banale s’écarte –selon P&G – significativement de celle d’autres emballages qui étaient disponibles sur le marché concerné à l’époque du dépôt.
 
11)       La cour ne suit pas P&G dans son argumentation. Les exemplaires produits par P&G d’emballages similaires consistent en général en des formes longilignes, rectangulaires avec des coins arrondis ou non. La forme déposée par P&G n’est pas une exception à celles-ci. L’ouverture du couvercle avec un bouton-poussoir sur la partie supérieure est également usuelle. Il n’y a donc pas d’écart significatif. Vu l’offre existante d’emballages, telle qu’elle est apparue au procès, le public sera habitué à de telles formes. La cour estime que le public concerné ne va pas identifier la forme déposée par P&G comme une marque.
 
12)       Même l’argument avancé par P&G selon lequel la forme déposée de l’emballage donne l’impression du couvercle d’une lunette de WC n’incite pas la cour à changer d’opinion.
 
13)       La forme déposée par P&G ne possède pas non plus une caractéristique distinctive quelconque, selon la cour, qui permettrait de distinguer le produit pour lequel elle est déposée de produits similaires. La forme déposée est dès lors dépourvue de tout caractère distinctif pour les produits pour lesquels elle est déposée.
La cour n’a plus à aborder la question de savoir s’il y a d’autres motifs de refus applicables.
La cour ajoute au surplus qu’aux termes de l’arrêt du 29 juin 2006 de la Cour de Justice Benelux (Cour de Justice Benelux, affaire A 2005/3, BIE 2006, 72) le juge, lorsqu’il apprécie le bien-fondé du refus d’enregistrement d’un dépôt par l’Office, doit prendre en considération un nouveau motif de refus avancé pour la première fois dans cette procédure judiciaire, parce qu’à défaut le juge pourrait être amené à ordonner l’enregistrement d’un signe ne répondant pas aux critères énoncés à l'article 6bis, alinéa premier, de la LBM (actuellement article 2.11 CBPI).
 
14)       En ce qui concerne l’argument tiré de l’enregistrement d’une marque identique par l’OHMI, la cour estime que toute requête doit être examinée selon ses mérites propres (cf. Cour de justice CE, 12 février 2004, affaire C-363/99, Postkantoor, BIE 2005, 106, IER 2002, 44).
 
15)       En conclusion, la requête de P&G doit être rejetée. P&G sera condamnée comme partie succombante aux frais de procédure pour autant que des frais aient été exposés par l’Office. La cour fixera ces frais raisonnablement comme indiqué ci-après en prenant en considération le fait que l’Office s’est fait représenter dans la présente instance en vertu de l’article 2.12., alinéa 2, CBPI.
 
Décision
 
La cour:
 
-           rejette la requête de P&G;
 
-            condamne P&G aux frais de procédure et fixe ceux-ci jusqu’à ce prononcé pour l’Office à € 452, -.
 
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