Numéro de requête R08/369

Date
Instance
REC NL
Marque
1-1-2
Numéro de dépôt
Déposant
De Staat der Nederlanden
Texte

Ordonnance


COUR D’APPEL DE LA HAYE

Secteur commerce

Cause numéro : 105.012.798/01

Numéro de requête (ancien) : R08/369

ordonnance de la cinquième chambre civile du17 juillet 2008

en cause de

l’ETAT DES PAYS-BAS,
siégeant à La Haye,
requérant,
dénommé ci-après : l’Etat,
avoué: Me H.J.M. Boukema,


contre


l’OFFICE BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE (marques et dessins ou modèles),
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
dénommé ci-après: l’Office,
mandataires: MM. C.J.P. Janssen et P. Veeze.


1. L’instance

Par requête (avec annexes) parvenue au greffe de la cour le 7 mars 2008, l’Etat a demandé à la cour d’annuler les décisions de l’Office du 10 mai 2007, du 13 août 2007, du 24 décembre 2007 et du 22 janvier 2008 et d’ordonner à l’Office de maintenir sa marque portant le numéro d’enregistrement 0820570 dans le registre des marques sinon de l’enregistrer à nouveau avec maintien de la date de priorité.
Par mémoire en défense (avec annexes) parvenu au greffe de la cour le 7 mai 2008, l’Office a demandé de rejeter la requête de l’Etat et de condamner l’Etat aux dépens.

La procédure orale sur la requête a eu lieu le 19 mai 2008. L’Etat fait exposer à cette occasion son point de vue par son avoué et l’Office par monsieur P. Veeze, préqualifié, tous deux sur base de notes de plaidoirie.

2. Appréciation de l’appel

1. Les pièces de la procédure et les allégations des parties font apparaître ce qui suit :

________________________________________________________________________

a. L’Etat a déposé le 23 mars 2007, sous le numéro 1131921, la marque verbale 1-1-2 pour les produits et services suivants :

Cl 35 Services publicitaires et administratifs; services administratifs dans le cadre des secours ; services d’une centrale d’alerte, à savoir l’enregistrement et la coordination des appels au secours ; l’information de la famille.
Cl. 38 Services de télécommunications ; services téléphoniques ; alerte par voie de télécommunications.
Cl 39 Transport par ambulance ; la régulation du trafic (services de transport).
Cl 42 Réalisation d’une enquête technique en cas de délit.
Cl 44 Services à prester par la police, l’ambulance ou le service d’incendie ou combinaison de ceux-ci, à savoir aide médicale, psychologique et physique aux victimes d’accidents.
Cl 45 Sauvetage de personnes et de biens hors d’objets en feu ; la régulation du trafic (services de sécurité) ; contrôle des spectateurs.

L’Office a enregistré le dépôt le 3 avril 2007 sous le numéro 0820570. Il s’agissait d’un enregistrement accéléré au sens de l’article 2.8., alinéa 2 CBPI.

b. Le 10 mai 2007, l’Office a pris une décision provisoire de refus de la marque 1-1-2 avec la motivation suivante.
Le signe 1-1-2 est dépourvu de caractère distinctif. Il se compose exclusivement du numéro général européen d’appel d’urgence 112. Il n’a pas de caractère individuel et ne sera pas perçu comme une marque. Une telle indication ne permet pas au consommateur de distinguer les services dans les classes 35, 38, 39, 42, 44 et 45 de ceux provenant d’une autre entreprise. Nous nous référons à l’article 2.11, alinéa 1er, sous b. CBPI.

c. L’Office a répondu aux objections présentées par le mandataire de l’Etat le 18 juin 2007 contre ce refus provisoire par une lettre du 13 août laquelle mentionne entre autres ce qui suit :
(…). Le simple fait que 112 soit connu en tant que tel ne veut évidemment pas dire qu’il est perçu comme une marque, donc comme un signe servant à distinguer la provenance des services en question d’une entreprise déterminée. (…).
L’Office, même après réexamen, est d’avis que le signe 1-1-2 est dépourvu de caractère distinctif. Ceci vaut pour tous les services pour lesquels le dépôt est effectué.
(…)
Vu ce qui précède, l’Office ne voit aucun motif de revoir le refus provisoire.

d. Par lettre à l’Office du 29 octobre 2007, le conseil de l’Etat a développé son point de vue selon lequel la marque 1-1-2 est susceptible d’enregistrement. A la suite de cette lettre, l’Office a écrit entre autres ce qui suit le 24 décembre 2007.
L’Office, même après réexamen, est d’avis que le signe 1-1-2 est dépourvu de caractère distinctif. En effet, il ne sera pas perçu comme une marque mais comme (descriptif d’) un numéro de téléphone déterminé, à savoir le numéro d’urgence européen.

e. Par lettre du 22 janvier 2008, l’Office a notifié à l’Etat la radiation de l’enregistrement de la marque.

f. L’article 1er de la Décision 91/396/CEE du Conseil du 29 juillet 1991 relative à la création d'un numéro d'appel d'urgence unique européen, J.O. L 217, p. 31-32, est libellé comme suit :
Les États membres veillent à ce que le numéro 112 soit introduit dans les réseaux téléphoniques publics, ainsi que dans les futurs réseaux numériques à intégration de services, et les services publics, en tant que numéro d'appel d'urgence unique européen.

Les Pays-Bas ont satisfait à cette obligation d’introduire le numéro d’appel d’urgence national 112. En vue de l’introduction de ce numéro d’appel d’urgence, l’Etat a mené à partir de 1998 une vaste campagne nationale d’information par le biais de la télévision, de la radio, d’annonces et d’autres moyens publicitaires.

2. L’Etat a fait appel dans le délai de la décision du 22 janvier 2008.

3. L’Office a basé sa décision sur l’article 2.11. alinéa 1er, sous b CBPI qui est libellé comme suit :
L'Office refuse d'enregistrer une marque lorsqu'il considère que:
(…)
b. la marque est dépourvue de caractère distinctif’.
Cette disposition doit être comprise à la lumière de l’article 3 de la première directive du 21 décembre 1988 du Conseil des CE rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, JOCE 1989 L 40 (Directive 89/104/CE, ci-après : la directive marques), libellé comme suit:
Sont refusés à l'enregistrement (…):
(…)
b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif.

4. Ainsi que la CJCE l’a considéré entre autres au point 66 de son arrêt du 8 mai 2008 (affaire C-304/06 P, ‘Eurohypo’), le caractère distinctif d’une marque signifie
‘(…) que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises’.
Dans l’affaire C-363/99 ‘Postkantoor’ (NJ 2006, 531), la CJCe a considéré ce qui suit au sujet de l’article 3 paragraphe 1 sous b de la directive marques.
75. (…) le caractère distinctif d'une marque doit être apprécié, (…) d'une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l'enregistrement de la marque a été demandé et, d'autre part, par rapport à la perception qu'en a le public pertinent, qui est constitué par le consommateur moyen de ces produits ou services, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

76. Il s'ensuit que si, à l'issue de l'examen d'une demande d'enregistrement d'une marque, l'autorité compétente constate, au vu de l'ensemble des faits et circonstances pertinents, que le consommateur moyen de certains produits ou services, normalement informé et raisonnablement attentif, perçoit une marque comme étant dépourvue de caractère distinctif à l'égard de ces produits ou services, elle doit refuser d'enregistrer cette marque pour ces produits ou services en application de l'article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive.
(…).
86.(…). Une marque peut (…) être dépourvue de caractère distinctif au regard de produits ou de services pour des raisons autres que son éventuel caractère descriptif.


5. Contrairement à ce que pense l’Etat, l’Office n’a pas nié que la combinaison chiffrée ‘1-1-2’ puisse posséder, considérée en elle-même, un caractère distinctif. Le refus est basé sur l’avis que ‘1-1-2’ est dépourvu de caractère distinctif pour les services pour lesquels l’Etat a déposé la marque (voyez en particulier la décision de refus provisoire du 10 mai 2007, point 1.b), et ceci implique que le signe puisse avoir (éventuellement) pour d’autres produits ou services un pouvoir distinctif.

6. L’Etat a déposé la marque 1-1-2 entre autres pour le service ‘alerte par voie de télécommunications’. Vu la campagne à grande échelle et intensive de l’Etat en vue de l’introduction du 112 comme numéro général d’appel d’urgence et considérant qu’il n’a été ni allégué ni établi qu’un autre numéro d’appel d’urgence soit ou ait été en circulation dans le Benelux auprès du consommateur moyen, le consommateur moyen de ce service ou le grand public percevra 112 comme le numéro (unique) d’appel d’urgence par voie de télécommunications. Le grand public perçoit donc ‘1-1-2’ comme un signe qui fournit une information sur la nature du service concerné et non sur la provenance de ce service (comparez le point 69 de l’arrêt Eurohypo de la CJCE). Dès lors, le grand public ne perçoit pas ‘1-1-2’ comme une marque. Ceci veut dire que ‘1-1-2’ est dépourvu de caractère distinctif pour le service ‘alerte par voie de télécommunications’.

7. Toutefois, l’Etat n’a pas seulement déposé 1-1-2 pour ce service mais aussi pour d’autres services, dont les ‘services publicitaires et administratifs’. Si, comme l’Etat l’a fait observer à la p. 4, 5e alinéa, de sa note de plaidoirie, le public ne pense pas exclusivement au numéro d’appel d’urgence lors de la prestation (par exemple) de ‘services publicitaires et administratifs’ en voyant l’indication ‘1-1-2’ – auquel cas la marque pourrait peut-être posséder un caractère distinctif pour ces services – l’Etat ne saurait cependant en tirer avantage dans la présente procédure. Dans son arrêt du 29 juin 2006 dans l’affaire ‘Europolis’ (IER 2006, n° 72), la Cour de Justice Benelux (CJB) a décidé en effet que lors du contrôle du bien-fondé de la décision du BBM de refuser l’enregistrement du dépôt, les juridictions ne peuvent, ni à la demande du déposant, ni d’office, apporter aucune modification à la liste des produits ou services introduite par le déposant en y supprimant certains produits ou services.

C’est pourquoi il n’y a pas lieu d’examiner dans la présente instance si la marque 1-1-2 a un pouvoir distinctif pour un ou plusieurs des autres services que l’alerte par voie de télécommunications pour lesquels cette marque a été déposée.

8. Les offres de preuve de l’Etat ne sont pas utiles à la lumière de ce qui précède et sont ignorées pour ce motif.

9. En conclusion, la requête de l’Etat ne peut pas être accueillie. Etant partie succombante, il sera condamné aux frais exposés par l’Office. La cour fixera ces frais raisonnablement selon les modalités indiquées ci-après, en prenant en considération le fait que l’Office s’est fait représenter dans cette instance conformément à l’article 2.12., alinéa 2 CBPI.

3. Décision

La cour d’appel:

- rejette la requête de l’Etat;

- condamne l’Etat aux frais de la procédure et fixe ceux-ci jusqu’au prononcé à € 1.207,- pour l’Office, dont € 303,- à titre provisionnel et € 904,- à titre d’honoraires;

- déclare la présente ordonnance exécutoire par provision à l’égard de la condamnation aux dépens.

La présente ordonnance a été prononcée par les conseillers J.C. van Fasseur-van Santen, W.A.J. van Lierop et M.Y. Bonneur, et a été prononcée à l’audience publique du 17 juillet 2008 en présence du greffier.

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