Numéro de requête 200.017.078/01

Date
Instance
REC NL
Marque
1333
Numéro de dépôt
Déposant
KONINKLIJKE KPN N.V.
Texte

Ordonnance

COUR D’APPEL DE LA HAYE

Secteur commerce

Cause numéro : 200.017.078/01

ordonnance de la cinquième chambre civile du 21 avril 2009

en cause de

KONINKLIJKE KPN N.V.
dont le siège est à La Haye,
requérante,
dénommée ci-après : KPN,
avocats : Me T. Cohen Jehoram et Me M. Bronneman, tous deux à Amsterdam,

contre

l’ORGANISATION BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE (MARQUES ET DESSINS OU MODELES)
et son organe l’Office Benelux de la Propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles),
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
dénommé ci-après: l’Office,
mandataires: MM. C.J.P. Janssen et P. Veeze, tous deux à La Haye.


La procédure

Par requête (avec huit annexes) parvenue au greffe de la cour le 22 octobre 2008, KPNt a demandé à la cour d’ordonner à l’Office de procéder à l’enregistrement du signe 1333, portant le numéro 1139872 (et le numéro d’enregistrement 0827658), pour tous les produits et services refusés, du moins pour les services en classes 38, 41 et 42, du moins pour les services mentionnés dans la demande, du moins pour les produits et services pour lesquels le signe 1333 peut être enregistré aux yeux de la cour (pour autant que mentionnés dans le dépôt) et de condamner l’Office aux dépens.
Par mémoire en défense parvenu au greffe de la cour le 2 décembre 2008, l’Office a demandé de rejeter la requête de KPN et de condamner KPN aux dépens.

La procédure orale sur la requête a eu lieu le 9 février 2009. Les deux parties ont fait exposer à cette occasion leurs points de vue sur la base de notes de plaidoirie, KPN par Me T. Cohen Jehoram préqualifié et l’Office par monsieur P. Veeze, préqualifié, KPN ayant remis au surplus un dossier avec des pièces (numérotées de 9 à 12).

Appréciation de la requête

1. Les pièces de la procédure et les allégations des parties font apparaître ce qui suit :

(i) KPN a déposé le 23 juillet 2007 la marque verbale 1333, sous le numéro 1139872, pour les produits et services suivants dans les classes ci-après :

Classe 9 Appareils (réseau) et interfaces de (télé)communications ; programmes d’ordinateurs enregistrés ; appareils pour l’enregistrement, la transmission, le décodage et la reproduction de son, d’image et de données, supports de données et supports sonores magnétiques et optiques ; puces d’ordinateurs ; cartes à puce et cartes sim ; appareils de téléphonie (mobile).

Classe 38 Télécommunications ; fourniture d’accès à Internet ; transmission électronique de données ; conseils concernant les services de télécommunication, appareils et périphériques de télécommunication.

Classe 41 : Education et divertissement, en ce compris l’enseignement, les formations, les cours, les entraînements et les séminaires ; la production et la réalisation de programmes de télévision, de films et de vidéos ; l’exécution de musique et de programmes (de divertissement)

Classe 42 Conseils techniques concernant l’installation de logiciels d’ordinateurs ; information concernant l’adaptation et l’actualisation de programmes de (télé)communication et d’automatisation, ainsi que les logiciels destinés aux réseaux ; conseils techniques dans le domaine de la création, du développement et/ou de l’installation de logiciels destinés aux appareils et interfaces de (réseaux de) (télé)communication et automatisation ; conseils techniques, éventuellement à l’aide de helpdesks, concernant les logiciels et matériels, ainsi que concernant l’installation de logiciels ; installation de programmes d’ordinateur (logiciel) ; la mise à disposition de matériel et logiciel informatique requis pour la transmission de données et pour l’installation et la gestion de sites Internet et autres médias on ligne ; services pour spécialistes ICT ; création, écriture, adaptation et actualisation de logiciels de télécommunication et automatisation ; installation, maintenance et mise à jour de logiciels.

Le dépôt a été enregistré le 3 août 2007 sous le numéro 827658 par voie d’enregistrement accéléré au sens de l’article 2.8., alinéa 2 CBPI.

(ii) Par lettre du 7 août 2007 (annexe 2 à la requête), l’Office a notifié à KPN sa décision provisoire portant radiation de l’enregistrement de la marque. L’Office a indiqué comme motif.

« Le signe 1333 est dépourvu de caractère distinctif. Il se compose exclusivement d’un numéro de téléphone. Celui-ci n’a pas de caractère individuel et ne sera pas perçu comme une marque. Une telle indication ne permet pas au consommateur de distinguer les services dans les classes 09, 38, 41 et 42 de ceux provenant d’une autre entreprise. En outre, le signe est descriptif. En effet, il peut servir à désigner l’espèce ou la qualité des produits et services cités. Nous référons à l’article 2.11, alinéa 1er, sous b. et c. CBPI. »

(iii) Par lettre du 5 février 2008 (annexe 3 à la requête), KPN a déposé réclamation contre le refus provisoire.

(iv) Par sa lettre du 21 août 2008 (annexe 4 à la requête), l’Office a répondu à la réclamation et a maintenu sa décision antérieure.

(v) Par lettre du 26 août 2008 (annexe 5 à la requête), l’Office a notifié à KPN sa décision portant radiation de l’enregistrement de la marque 1333.

2. KPN affirme qu’il ressort du déroulement des faits précités que l’Office ne lui a pas notifié sans délai son refus (décision, cour), comme il est prescrit à l’article 2.11, alinéas 3 et 4 de la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles) (dénommée ci-après : CBPI). Selon KPN, l’Office en est conscient, ainsi qu’il résulte de la lettre précitée du 21 août 2008 dans laquelle l’Office mentionne :
« Nous constatons d’abord que la réponse à votre lettre s’est fait attendre plus longtemps qu’il n’est souhaitable et acceptable. Nous vous présentons nos excuses. ». Dès lors qu’il n’y a pas eu notification immédiate selon KPN, elle pouvait légitimement croire que les objections de l’Office contre l’enregistrement de la marque avaient été levées.

3. L’Office allègue que le délai repère d’un mois (voyez les directives en matière de critères d’examen des marques pour motifs absolus, sous 16 sous e) a été largement dépassé en l’espèce parce qu’on a attendu la décision dans une affaire de recours portant sur un numéro de téléphone qui pouvait avoir des conséquences pour la présente affaire. L’Office soutient que par cette manière de procéder, KPN n’a pas été lésée dans son intérêt à introduire des arguments additionnels dans la phase de réclamation, puisque KPN a déposé sa réclamation seulement le dernier jour presque du délai de réclamation de six mois.

4. L’article 2.11, alinéas 3 et 4 CBPI, dispose :

« 3. L'Office informe le déposant sans délai et par écrit de son intention de refuser l'enregistrement en tout ou en partie, lui en indique les motifs et lui donne la faculté d'y répondre dans un délai à fixer par règlement d'exécution.
4. Si les objections de l’Office contre l'enregistrement n'ont pas été levées dans le délai imparti, l'enregistrement de la marque est refusé en tout ou en partie. L'Office informe le déposant sans délai et par écrit en indiquant les motifs du refus et en mentionnant la voie de recours contre cette décision, visée à l'article 2.12. »

Les directives (publiées) en matière de critères d’examen des marques pour motifs absolus prévoient entre autres :

« L’OBPI s’efforce de répondre aux objections écrites dans un délai d’un mois après leur introduction. L’OBPI fait remarquer à cet égard qu’il tient compte des intérêts du déposant et notamment de la possibilité d’introduire de nouveaux arguments à l’occasion de l’examen des objections écrites. Pour cette raison, il se justifie que les réclamations introduites longtemps avant l’expiration du délai soient traitées avec une plus grande priorité que les réclamations qui concernent des dépôts pour lesquels le déposant n’aurait plus de délai pour introduire de nouveaux arguments »

5. La cour considère que ni la CBPI ni le Règlement d’exécution de la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles) ni les directives précitées ne sanctionnent le fait pour l’Office de ne pas décider sans délai sur les objections avancées par le déposant. La cour estime qu’il résulte du libellé des directives que l’ordre d’entrée des réclamations peut avoir une incidence sur l’ordre de traitement par l’Office. De ce point de vue, un déposant ne peut pas croire forcément que si l’Office ne statue pas sans délai sur les objections, ces objections sont réputées avoir été levées. Dans ce cas-ci, KPN a introduit ses objections très tard de sorte qu’elle devait s’attendre à ce que ses objections ne soient pas traitées prioritairement. Il n’y a pas non plus violation du principe de droit ‘equality of arms’ ce que l’Office aurait fait attendre KPN pendant près de sept mois avant de statuer dans le cas d’espèce où KPN a attendu la fin du délai de réclamation pour introduire ses objections. De plus, le fait pour l’Office de ne pas décider sans délai n’implique pas en soi que l’enregistrement du signe doit être autorisé ou – dans le cas d’un enregistrement accéléré – maintenu en violation de l’article 2.11 CBPI (cf. l’arrêt de la Cour de Justice Benelux du 29 novembre 2001 dans l’affaire Postkantoor, points 12-16).

6. Dans sa requête, KPN avance un certain nombre de motifs qui devrait entraîner l’enregistrement du signe 1333, à savoir :
A) que les chiffres sont des « signaux », qu’ils acquièrent par le contexte une « secondary meaning » et font ainsi office de signe distinctif ;
B) que si le public voyait 1333 comme un numéro de téléphone, cela n’enlève rien au pouvoir distinctif de 1333 ; que ceci signifie justement que l’on voit le numéro comme un signe qui distingue certains services (disponibles via ce numéro) des services d’autres entreprises ;
C) que l’Office n’a pas tenu compte, à tort, dans sa décision du fait que KPN a demandé aussi la marque 1333 pour des produits et services en classe 41, laquelle n’a rien à voir avec la télécommunication et des choses apparentées.

7. Ad C

La cour juge à propos de traiter d’abord le motif C.
La requête inclut – outre une demande primaire – une demande subsidiaire tendant à l’enregistrement du signe 1333 pour les services en classes 38, 41 et 42 pour lesquels l’enregistrement a été demandé, une demande plus subsidiaire d’enregistrement du signe pour un certain nombre de services désignés nommément pour lesquels l’enregistrement a été demandé et une demande encore plus subsidiaire d’enregistrement du signe pour les produits et services (pour autant que nommés dans le dépôt) pour lesquels le signe 1333 peut être enregistré aux yeux de la cour.

8. La cour considère ce qui suit. Il ne peut être nié que dans la phase de délivrance (y compris la phase de réclamation) il n’a pas été question d’une limitation de l’enregistrement aux services cités en classes 38, 41 et 42, plus que toute autre limitation quelconque des produits ou services pour lesquels le dépôt a été effectué. Ceci implique que de telles demandes (limitées) ne peuvent pas non plus être présentées dans la présente procédure (de recours) (voyez les arrêts de la Cour de Justice Benelux du 15 décembre 2003 (en cause Vlaamse Wegen) et du 29 juin 2006 (en cause Europolis).
C’est pourquoi la cour doit appuyer son appréciation uniquement sur la demande principale portant sur tous les produits et services pour lesquels le dépôt a été effectué.

9. Ad A

La cour examine à présent si le signe doit être refusé en vertu de l’article 2.11, alinéa 1er, sous b CBPI, parce qu’il est dépourvu de tout caractère distinctif. Il est constant que les chiffres peuvent avoir un caractère distinctif et constituer une marque (voyez l’article 2.1 CBPI). Lors de l’appréciation du caractère distinctif, il est requis que la marque – peu importe la catégorie à laquelle elle appartient – soit apte à identifier les produits comme provenant d’une entreprise déterminée et donc à distinguer les produits de ceux d’autres entreprises. Toutefois, même si les critères d’appréciation du caractère distinctif sont les mêmes pour les différentes catégories de marques, il peut apparaître lors de leur application que la perception du public pertinent (en l’espèce les consommateurs moyens normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés, donc le grand public) n’est pas nécessairement le même pour toutes les catégories de marques.
Dans le cas présent, le signe 1333 se compose de quatre chiffres.

Selon KPN, les chiffres ne signifient – à la différence des mots – rien du tout par eux-mêmes et il faut un « contexte » grâce auquel ils acquièrent une « secondary meaning ». Lorsque cette « secondary meaning » est celle de signe distinctif, c’est une marque, dit KPN. La cour déduit de la requête, sous 20 et 21, que, selon KPN, 1333 a la « secondary meaning » d’indication de provenance (notamment) en rapport avec les services télécom. KPN a en outre, dit-elle, l’intention de faire un usage intensif du signe 1333 comme marque et numéro pour des services d’informations aux abonnés.

La cour considère que le public pertinent ne percevra pas le chiffre 1333 comme un signe qui identifie des produits ou services comme provenant d’une entreprise déterminée. Ceci ressort aussi d’un rapport de TNS NIPO du 22 janvier 2009, versé au dossier par KPN et non contesté par l’Office dans cette mesure, rapport qui indique que 80% des personnes interrogées n’a pas répondu à la question de savoir à quoi l’on pense avec le chiffre 1333 (« ne sait pas »). Bien que le rapport date d’un an et demi après le dépôt, KPN n’a pas allégué que la réponse aux questions aurait été différente à l’époque du dépôt et la chose n’est pas non plus avérée. Même si le signe est utilisé dans le contexte des services de télécommunication (15% des personnes interrogées ont répondu qu’elles pensaient à un service de télécom ou d’information), cela ne veut pas dire grand-chose, dès lors que la question s’énonçait : « Je voudrais vous demander quelque chose au sujet de services télécom. »
C’est pourquoi il convient de conclure que le signe 1333 n’est pas apte à identifier des produits ou services comme provenant d’une entreprise déterminée et à distinguer les produits ou services de ceux d’autres entreprises. La consécration par l’usage n’a pas été invoquée dans la présente procédure.
Ceci veut dire que le signe est dépourvu de tout caractère distinctif de sorte qu’il n’est pas admissible à l’enregistrement en vertu de l’article 2.11, alinéa 1er, début et sous b CBPI.

10. Ad B

Si l’argument sous B était fondé et que le signe avait un caractère distinctif parce qu’il est perçu par le public pertinent comme un numéro de téléphone et que l’on voit le numéro comme un signe qui distingue certains services (disponibles via ce numéro) d’autres services, la cour ajoute – à titre superfétatoire – les considérations suivantes.

La cour estime que – partant de cette hypothèse – le public pertinent comprendra le signe alors comme un numéro de téléphone qui évoque notamment certains produits et services dans le domaine de la téléphonie/télécommunication, comme les appareils de (réseau) de télécommunication, les appareils de téléphonie (mobile) et l’information concernant l’adaptation et l’actualisation des appareils de (télé)communication, de sorte que le signe est descriptif à l’égard de ces produits et services. Dès lors que le signe est déposé notamment pour ces produits et services et qu’une limitation des produits ou services n’est pas recevable dans la présente procédure (voyez le point 8 ci-dessus), le signe ne sera pas admissible à l’enregistrement comme marque en vertu de l’article 2.11, alinéa 1er, début et sous c CBPI.

11. Ce qui précède n’est pas affecté par le fait que l’Office ou des instances d’examen étrangères ont enregistré des dépôts composés de chiffres comme marque, dès lors que chaque dépôt doit, en effet, être examiné selon ses mérites propres.
Il ne sert à rien d’invoquer l’harmonisation des législations sur les marques en Europe, selon ce que la cour comprend, aux termes de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988, JOCE 1988 L40/1 rapprochant les législations des états membres sur les marques, et il ne sert à rien non plus d’invoquer – dans la mesure où cet argument est maintenu dans la présente procédure – le principe de droit (néerlandais) relatif à la sécurité juridique (lettre de KPN du 5 février 2008).

12. En conclusion, il n’y a pas lieu d’accueillir les demandes primaires, subsidiaires, plus subsidiaires et encore plus subsidiaires de KPN. Etant partie succombante, KPN sera condamnée aux frais exposés par l’Office. La cour fixera ces frais raisonnablement selon les modalités indiquées ci-après, en prenant en considération le fait que l’Office s’est fait représenter dans cette instance conformément à l’article 2.12., alinéa 2 CBPI. 

Décision

La cour d’appel:

- rejette les requêtes primaires, subsidiaires, plus subsidiaires et encore plus subsidiaires de KPN;

- condamne KPN aux frais de la procédure et fixe ceux-ci jusqu’au prononcé à € 1.341,- d’honoraires de mandataire pour l’Office, et à € 303,- à titre provisionnel;


La présente ordonnance a été prononcée par les conseillers J.C. van Fasseur-van Santen, T.H. Tanja-van den Broek et M.Y. Bonneur, et a été prononcée à l’audience publique du 21 avril 2009 en présence du greffier.

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