Numéro de requête 200.017.095/01

Date
Instance
REC NL
Marque
FACTORS FOR LIFE
Numéro de dépôt
Déposant
CSL Behring GmbH
Texte

Prononcé: 26 mai 2009

Cause numéro : 200.017.095/01

Ordonnance

COUR D’APPEL DE LA HAYE

Secteur commerce

Cause numéro : 200.017.095/01

ordonnance de la cinquième chambre civile du 26 mai 2009

dans la cause de

la société de droit étranger CSL BEHRING GMBH
dont le siège est à Marburg, Allemagne,
requérante,
dénommée ci-après : Behring,
avocat : Me P.J.M. von Schmidt auf Altenstadt,

contre

l’ORGANISATION BENELUX DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE (MARQUES ET DESSINS OU MODELES)
et son organe l’Office Benelux de la Propriété intellectuelle (marques et dessins ou modèles),
dont le siège est à La Haye,
défendeur,
dénommé ci-après: l’Office,
mandataires: MM. C.J.P. Janssen et P. Veeze, tous deux à La Haye.

La procédure

Par requête (avec huit annexes) parvenue au greffe de la cour le 29 octobre 2008, Behrin a demandé à la cour d’ordonner à l’Office de procéder à l’enregistrement du signe FACTORS FOR LIFE, déposé sous le numéro 1148706 pour les produits pour lesquelles il est demandé et de condamner l’Office aux dépens.

Par mémoire en défense parvenu au greffe de la cour le 5 décembre 2008, l’Office a demandé de rejeter la requête de Behring et de condamner Behring aux dépens.

La procédure orale sur la requête a eu lieu le 9 février 2009. Les deux parties ont fait exposer à cette occasion leurs points de vue sur la base de notes de plaidoirie, Behring par Mes M.F.J. Haak et K. Braber, tous deux avocats à Amsterdam, et l’Office par ses mandataires.

Appréciation de la requête

1. Les pièces de la procédure et les allégations des parties font apparaître ce qui suit :

(a) Behring a déposé le 4 décembre 2007 la marque verbale FACTORS FOR LIFE, sous le numéro 1148706, pour les produits suivants en classe 5 :

Préparations pharmaceutiques ; produits sanguins et agents coagulants à usage médical, protéines sanguines à usage médico-thérapeutique.

Le dépôt a été publié le 8 janvier 2008.

(b) Par lettre du 15 janvier 2008 (annexe 2 à la requête), l’Office a notifié à Behring sa décision provisoire portant radiation de l’enregistrement de la marque. L’Office a indiqué comme motif.

« Le signe FACTORS FOR LIFE (traduction libre de l’anglais : facteurs pour la vie) est dépourvu de caractère distinctif et est descriptif. Il se compose exclusivement d’une phrase louangeuse empruntée au langage courant. Celle-ci n’a aucun caractère individuel et ne sera pas perçue comme une marque. Une telle indication ne permet pas au consommateur de distinguer les produits en classe 5 de ceux provenant d’une autre entreprise. En outre, le signe est descriptif étant donné qu’il peut servir à désigner l’espèce, la qualité ou la destination de ces produits. Nous référons à l’article 2.11, alinéa 1er, sous b. et c. CBPI. »

(c) Par lettre du 6 mai 2008 (annexe 3 à la requête), Behring a fait déposer réclamation contre le refus provisoire.

(d) Par sa lettre du 5 juin 2008 (annexe 4 à la requête), l’Office a répondu à la réclamation et a maintenu sa décision antérieure.

(e) Par lettre du 3 juillet 2008 (annexe 5 à la requête), Behring a fait répondre à la lettre de l’Office du 5 juin 2008.

(f) Par lettre du 29 août 2008 (annexe 6 à la requête), l’Office a notifié à Behring sa décision portant refus de l’enregistrement du dépôt.

2. A l’audience, M. Veeze a déclaré au nom de l’Office que le moyen de non-recevabilité soulevé dans le mémoire en réponse n’était pas maintenu, dès lors qu’il est apparu que la requête a été envoyée au greffe de la cour par fax le 29 octobre 2008.

3. L’Office a refusé la marque au motif qu’elle est dépourvue de tout caractère distinctif (article 2.11, alinéa 1er, sous b, CBPI, le ‘motif b’) et qu’elle est descriptive (article 2.11, alinéa 1er, sous c, CBPI, le ‘motif c’). Lorsqu’une marque est descriptive pour des produits ou services déterminés, elle est, de ce fait, nécessairement dépourvue de caractère distinctif pour ces produits ou services, mais une marque peut aussi être dépourvue de caractère distinctif pour des produits ou services pour des raisons autres que son éventuel caractère descriptif (voyez le point 86 de l’arrêt Postkantoor cité ci-après). C’est pourquoi la cour examinera d’abord si FACTORS FOR LIFE est descriptif pour les produits pour lesquels il est demandé.

4. La CJCE a interprété le motif c dans une série d’arrêts, en particulier dans ses arrêts du :

- 4 mai 1999, affaires C-108/07 et C-109/97 ‘Chiemsee’ (NJ 2000, 269) ;
-  23 octobre 2003, affaire C-191/01 ‘Doublemint’ (IER 2004, 12) ;
- 12 février 2004, affaire C-363/99 ‘Postkantoor’ (NJ 2006, 531) ;
- 12 février 2004, affaire C-265/00 ‘Biomild’ (NJ 2006, 528) ;
- 9 mars 2006, affaire C-421/04 ‘Matratzen’ (IER 2006, 56) ;
- 19 avril 2007, affaire C-273/05 ‘Celltech’ (IER 2007, 60).

Il ressort de cette jurisprudence ce qui suit, appliqué au cas d’espèce où l’enregistrement d’une dénomination/combinaison verbale est demandé (uniquement) pour des produits (à l’exclusion de services).

i. Le motif c poursuit un but d'intérêt général, lequel exige que des indications descriptives puissent être librement utilisés par tous (Postkantoor’ point 54).
ii. Cet intérêt général implique en effet que toutes les indications pouvant servir à désigner des caractéristiques des produits pour lesquels l'enregistrement est demandé soient laissés à la libre disposition de toutes les entreprises (Postkantoor’ point 55).
iii. L'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive n'exige pas que l’indication pour laquelle l’enregistrement est demandé soit le mode exclusif de désignation du produit (Postkantoor’ point 57) ; il est indifférent qu'il existe ou non des synonymes permettant de désigner les mêmes caractéristiques des produits mentionnés dans la demande d'enregistrement (Biomild’ point 42).
iv. Il est également indifférent que les caractéristiques des produits qui sont susceptibles d'être décrites soient essentielles sur le plan commercial ou accessoires (Postkantoor’ point 102).
v. Il n'est pas nécessaire que l’indication soit effectivement utilisée, au moment de la demande d'enregistrement, à des fins descriptives de produits tels que ceux pour lesquels la demande est présentée ou des caractéristiques de ces produits ; il suffit, pour l’applicabilité du motif c, que cette indication puisse être utilisée à de telles fins. Un signe verbal doit ainsi se voir opposer un refus d'enregistrement comme marque, en application du motif c, si, en au moins une de ses significations potentielles, il désigne une caractéristique des produits concernés (Postkantoor’ point 97).
vi. Il convient donc d’apprécier si une marque dont il est demandé l'enregistrement constitue actuellement, aux yeux des ‘milieux intéressés’, une description des caractéristiques des produits concernés ou s'il est raisonnable d'envisager que cela soit le cas dans l'avenir (Postkantoor’ point 56).
vii. Par ‘milieux intéressés’, on entend le commerce et le consommateur moyen, normalement informé, attentif et avisé (ci-après en abrégé : le consommateur moyen) de la catégorie concernée de produits (Chiemsee point 29, Matratzen point 24).
viii. Il y a lieu de vérifier si le syntagme litigieux est susceptible d'être utilisé par d'autres opérateurs économiques pour désigner une caractéristique de leurs produits (Doublemint point 35).
ix. Un syntagme verbal constitué d'un mot composé d'éléments dont chacun est descriptif est lui-même descriptif, sauf s'il existe un écart perceptible entre le syntagme et la simple somme des éléments qui le composent (Postkantoor point 100 ; Biomild point 41). le simple fait d'accoler des éléments descriptifs sans y apporter de modification inhabituelle, notamment d'ordre syntaxique ou sémantique, ne peut produire qu'une marque qui tombe sous le motif c (Postkantoor point 98 ; Biomild point 39).
x. Si, s’agissant d’une marque composée de mots, un éventuel caractère descriptif peut être examiné, en partie, pour chacun de ses éléments, pris séparément, il doit, en tout état de cause, dépendre d’un examen de l’ensemble qu’ils composent (Celltech point 79).
On doit donc admettre qu’une indication qui ne décrit pas actuellement les caractéristiques du produit selon l’opinion des milieux intéressés et dont il n’est pas raisonnable d’envisager que ce sera le cas à l’avenir (règle vi) ne peut pas servir à désigner ce produit ou les caractéristiques de celui-ci au sens des règles ii, v et viii.

5. L’Office a commenté comme suit son refus fondé sur le motif c. L’élément ‘factor’ est descriptif des agents coagulants, tandis que les mots ‘for life’ y ajoute uniquement la destination ou la qualité des agents coagulants, à savoir que ceux-ci sont conçus ‘pour la vie’ du patient ; les personnes dont la coagulation ne fonctionne pas bien parce qu’elles ne fabriquent pas elles-mêmes les facteurs de coagulation comme les patients hémophiles, ont besoin de ces agents pour survivre. Le signe FACTORS FOR LIFE n’a pas en outre une signification additionnelle qui prime la somme des éléments qui le composent.

6. Du point de vue de Behring, le signe FACTORS FOR LIFE, considéré globalement, n’est toutefois pas descriptif. Elle a soutenu notamment à cette fin que ce signe doit être considéré comme un slogan original qui sera perçu par le public pertinent comme un moyen d’attirer l’attention, sans que ceci implique un réflexe cognitif de traduction et d’analyse des mots anglais dans la langue maternelle. En d’autres mots : il sera perçu par ce public comme une appellation de fantaisie sans signification, selon Behring.

7. Les parties ont débattu de la question de savoir quel groupe de personnes constitue le public pertinent/le consommateur moyen des produits pour lesquels la marque est demandée. Selon Behring, le public pertinent se compose exclusivement de spécialistes médicaux parce que eux seuls peuvent appliquer des produits (sanguins) coagulants en raison de leurs connaissances et que ces produits ne sont disponibles que sur prescription médicale. L’Office estime que les patients doivent également être rangés dans le public pertinent étant donné que les patients sont actuellement associés aux choix à faire et que certainement les patients atteints d’une maladie de coagulation, en raison de son caractère chronique, vont acquérir spontanément des connaissances sur les différents produits. La cour considère qu’il convient de donner raison à l’Office sur ce point pour les raisons qu’il mentionne et que tant les spécialistes que les patients sont donc à considérer comme les consommateurs moyens des produits pour lesquels l’enregistrement est demandé. Avec les fabricants et les commerçants de médicaments – voyez le point 4 sous vi et vii – ils constituent les ‘milieux intéressés’ aux yeux desquels il convient d’apprécier si le signe FACTORS FOR LIFE est descriptif des agents coagulants.

8. Dans son mémoire en défense, l’Office a produit une page de Wikipedia qui mentionne qu’un facteur de coagulation est une protéine nécessaire à la coagulation du sang. Cette signification du mot ‘factors’ doit être supposée connue dans les milieux intéressés. Ce mot est dès lors descriptif des agents coagulants, ainsi que Behring l’a reconnu d’ailleurs à l’audience (voyez le point 2.2 de sa note de plaidoirie). Pratiquement chaque habitant du Benelux sait que ‘for life’ signifie ‘pour la vie’ et reconnaîtra aussi cette signification sans qu’un ‘réflexe cognitif de traduction et d’analyse’ soit nécessaire. Il en va évidemment de même pour les milieux intéressés du Benelux à l’égard de la présente catégorie de produits. Vu le point 26, dernière phrase, de l’arrêt ‘Matratzen’ déjà cité, le fait que son signe soit rédigé en langue anglaise n’empêche pas, contrairement à l’opinion de Behring, de considérer ce signe comme descriptif pour le territoire Benelux.

9. La cour se rallie à la thèse de l’Office (point 10 de sa note de plaidoirie) que les milieux intéressés attribueront à l’élément ‘for life’ dans le syntagme FACTORS FOR LIFE en premier lieu la signification de ‘pour la vie’ au sens de ‘pour les besoins de la vie’/’pour rester en vie’/’pour (aider à) survivre’. Dans cette signification, ‘for life’ est descriptif des produits pour lesquels l’enregistrement est demandé.

10. Se référant au paragraphe des ‘Directives en matière de critères d’examen des marques pour motifs absolus’ publiées par l’Office, dans lequel la règle d’interprétation mentionnée au point 4 sous ix est développée, Behring a affirmé que l’élément ‘for life’ combiné à ‘factors’ a un sens caché : au sens purement médical, il signifie : ‘pour survivre’, mais il a par ailleurs la signification : ‘pour toute la vie’/’à perpétuité’, en se référant au fait que les patients hémophiles doivent utiliser des facteurs de coagulation leur vie durant. La cour considère que les milieux intéressés pour la présente catégorie de produits non seulement savent que les facteurs coagulants sont nécessaires à assurer la survie des patients hémophiles mais seront aussi pleinement conscients du fait que ces patients sont condamnés à l’usage de ce médicament leur vie durant. S’ils sont confrontés au signe de Behring, ils discerneront dès lors cette seconde signification (le ‘sens caché’). La seconde signification de ‘for life’ désigne aussi une caractéristique des facteurs de coagulation, à savoir qu’ils doivent être utilisés à vie.

11. La seconde signification de FACTORS FOR LIFE ne constitue dès lors pas une modification d’ordre sémantique ou syntaxique à ce point inhabituelle qu’il existe un écart perceptible entre ce syntagme et la somme de ses éléments. Ceci implique que FACTORS FOR LIFE doit se voir opposer un refus comme marque pour le motif c pour les produits pour lesquels il est demandé. Aussi, le motif b fait-il à son tour obstacle à l’enregistrement.

12. En conclusion, la requête de Behring n’est pas susceptible d’être accueillie. Etant partie succombante, Behring sera condamnée aux frais exposés par l’Office. La cour fixera ces frais raisonnablement selon les modalités indiquées ci-après, en prenant en considération le fait que l’Office s’est fait représenter dans cette instance conformément à l’article 2.12., alinéa 2 CBPI. 

Décision

La cour d’appel:

- rejette la requête de Behring;

- condamne Behring aux frais de la procédure et fixe ceux-ci jusqu’au prononcé à € 1.341,- d’honoraires de mandataire pour l’Office, et à € 303,- à titre provisionnel;


La présente ordonnance a été prononcée par les conseillers J.C. van Fasseur-van Santen, T.H. Tanja-van den Broek et M.Y. Bonneur, et a été prononcée à l’audience publique du 26 mai 2009 en présence du greffier.

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