Numéro de requête 23476

Date
Instance
REC LU
Marque
couleur jaune curry
Numéro de dépôt
Déposant
naamloze vennootschap PROXXON S.A.
Texte
Numéro 23476 du rôle
 
société anonyme PROXXON S.A. contre BUREAU BENELUX DES MARQUES
 
Arrêt rendu le trente et un mars deux mille quatre
Numéro 23476 du rôle
 
par la Cour d’appel de Luxembourg, quatrième chambre,
siégeant conformément à l’article 6ter de la loi uniforme Benelux sur les marques
 
La Cour d’appel de Luxembourg, quatrième chambre,
 
a rendu l’arrêt suivant:
 
A la requête de:
 
la société anonyme PROXXON S.A.,
établie et ayant son siège social à L-6868 Wecker, 6 am Härebierg,
immatriculée auprès du Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le No. B5310, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions,
demanderesse aux termes d’une requête du 11 juin 1999 faite en application de l’article 6ter de la loi uniforme Benelux sur les marques,
comparant par Maître Katia MANHAEVE, avocat à Luxembourg ;
 
contre
 
le BUREAU BENELUX DES MARQUES,
établi à Bordewijklaan 15, NL-2591 XR LA HAYE,
représenté par son directeur actuellement en fonctions,
défendeur aux fins de la prédite requête,
comparant par Maître Nicolas DECKER, avocat à Luxembourg.
 
LA COUR D’APPEL:
 
La société PROXXON S.A. établie et ayant son siège social à Wecker au Luxembourg, a déposé pour les classes 7, 8 et 9 auprès du BUREAU BENELUX DES MARQUES (en abrégé le BBM) la marque couleur jaune curry portant le code d’identification RAL 1027-HR.
 
Les produits visés par ces classes sont des outils de bricolage.
 
Le dépôt porte le no. 915428
 
Par lettre du 10 septembre 1998, le BBM a notifié au mandataire de la société PROXXON S.A. le refus provisoire d’enregistrement au motif que <le signe, composé exclusivement de la couleur jaune, est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits mentionnés en classes 7, 8 et 9, sauf si le signe a acquis un pouvoir distinctif par un usage long et intensif au titre de marque au Benelux, exercé avant le dépôt (voir article 6bis, par 1, sous a. de la Loi Uniforme Benelux sur les marques, en annexe). Nous vous renvoyons à la décision de la Cour d’appel de La Haye du 4.6.1998 (no.97/823) dans l’affaire Orange (Libertel).>
 
La société PROXXON S.A. s’étant opposée au refus provisoire, le BBM a fait savoir le 25 mars 1999 à la société PROXXON S.A. qu’il maintient sa décision que le signe est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits mentionnés en classes 7, 8 et 9.
 
Il a motivé sa décision en les termes suivants:
 
< Le Bureau maintient sa décision que le signe est dépourvu de tout caractère distinctif pour les produits mentionnés en classes 7, 8 et 9.
Le Bureau considère que, par elle-même, une simple couleur peut bénéficier de la protection comme marque. En effet, les couleurs ne sont pas exclues comme marque ni dans la première directive du Conseil rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, ni dans la LBM.
Par contre, les couleurs sont peu appropriées à servir de marque; en tant que telles, les couleurs sont en effet trop générales, trop peu spécifiques. Dans ce sens nous vous renvoyons à la décision de la Cour Benelux du 9.2.1977 dans Centrafarm/Beecham.
 
Il ressort de la documentation que vous avez soumise que la couleur réclamée ne constitue qu’un élément accessoire de la marque complexe utilisée par le déposant. En effet, la couleur jaune est toujours utilisée en combinaison avec la couleur verte et avec le nom commercial du déposant PROXXON.>
 
Il a finalement fait savoir à la société PROXXON S.A. qu’elle semble invoquer le principe de la consécration par l’usage de la marque mais qu’elle ne satisfait pas aux exigences très élevées pour l’obtention d’une telle consécration par l’usage.
 
Se référent à ses courriers du 10 septembre 1998 et du 25 mars 1999, le BBM a notifié le 12 avril 1999 à la société PROXXON S.A. le refus définitif de l’enregistrement.
 
La société PROXXON S.A. a conformément à l’article 6ter de la loi uniforme Benelux sur les marques, en abrégé la LBM, déposé en date du 11 juin 1999 un recours contre la décision de refus.
 
Ce recours est recevable pour avoir été fait dans les formes et délai de la loi.
 
Il tend à voir ordonner au BBM de procéder à l’enregistrement du dépôt no. 915428.
 
Suivant le dernier état des conclusions, la position du BBM pour motiver sa décision de refus se résume de la façon suivante:
 
Le BBM relève que la société PROXXON S.A. ne commercialise pas ses produits par une couleur simple, telle que la couleur jaune, mais qu’elle ne les commercialise que par le biais de la combinaison des couleurs verte et jaune.
 
Il reconnaît que les couleurs en elles-mêmes sont susceptibles de constituer une marque.
 
Il fait valoir que puisque le consommateur moyen n’a que rarement la possibilité de procéder à une comparaison directe des différentes marques, qu’il doit se fier à l’image non parfaite qu’il en a gardée en mémoire et que la couleur jaune ou des nuances de couleur jaune sont communément utilisées pour les outils de bricolage, la couleur déposée n’est pas susceptible d’être appréhendée d’emblée comme indicateur de l’origine commerciale et qu’elle n’a dès lors pas de caractère distinctif.
 
Il fait finalement valoir que comme un grand nombre de fabricants d’outils de bricolage utilisent la couleur jaune ou une couleur semblable, il est nécessaire de tenir compte de l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits du type de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé.
 
La société PROXXON S.A. précise qu’elle ne se prévaut pas d’une consécration par l’usage.
 
Elle fait valoir qu’au lieu de partir d’une simple pétition de principe pour refuser l’enregistrement de sa marque, le BBM, à qui incombe la charge de la preuve, aurait dû démontrer en quoi la couleur jaune curry RAL 1027-HR n’était pas apte à identifier les produits pour lesquels l’enregistrement était demandé, soit démontrer l’absence de caractère distinctif.
 
Elle prétend qu’une telle analyse aurait dû être faite par le BBM au moment de lui notifier son refus provisoire et/ou définitif et non pas dans le cadre de la présente instance.
 
Elle estime que la couleur déposée a un caractère distinctif puisqu’en raison de sa nuance très particulière et complètement inhabituelle sur le marché des outils de bricolage, elle permet au public pertinent, soit le consommateur moyen, d’identifier les produits de cette couleur comme provenant d’une entreprise déterminée.
 
Trois remarques préliminaires s’imposent:
 
-           Les juridictions nationales devant lesquelles le recours prévu à l’article 6ter de la LBM est exercé peuvent prendre en considération les éléments sur lesquels le BBM a fondé ou aurait dû fonder sa décision (cf. Cour de Justice Benelux, Arrêt du 15.12.2003 BBM/Vlaamse Toeristenbond). On doit dès lors admettre que lors de l’examen du recours contre la décision de refus d’enregistrement, la Cour d’appel peut prendre en considération la motivation, même nouvelle, développée devant elle par le BBM à l’appui de sa décision de refus. Cette solution se justifie d’autant plus qu’il est admis que la procédure poursuivie devant la juridiction nationale est une instance d’appel (cf. Braun, Précis des marques, 3ème édition No. 269; Doc.parl. 38664,sess.ord.1994-1995) et qu’en instance d’appel des arguments et moyens nouveaux peuvent être soulevés.
Il s’ensuit que la société PROXXON S.A. soutient à tort que pour l’appréciation du bien-fondé de la décision de refus il faudrait se placer au moment de la procédure suivie devant le BBM et ne prendre en considération que la position défendue à ce moment par le BBM.
 
Il s’ensuit que c’est également à tort que la société PROXXON S.A. fait grief au BBM, qui n’émet plus de pétition de principe en appel, de s’être confiné – pour refuser l’enregistrement – à une simple pétition de principe.
 
-           C’est à tort que la société PROXXON S.A. prétend que la charge de la preuve de la nullité incombe au BBM. En effet, le BBM ne supporte pas à l’égard d’un déposant la charge de la preuve que les droits déjà acquis par un dépôt sont entachés de nullité pour l’un des motifs qu’il est autorisé à prendre en considération pour étayer le refus de l’enregistrement. Le déposant n’acquiert les droits que la LBM rattache au dépôt que si le signe déposé est effectivement enregistré. Une fois l’enregistrement obtenu, le dépôt produit ses effets à partir de la date du dépôt. En refusant l’enregistrement, le BBM empêche par conséquent que des droits de marque soient acquis nonobstant le dépôt et ne doit dès lors pas prouver la nullité des droits acquis pendant la période durant laquelle il se propose de refuser un enregistrement (cf.Cour d’appel Bruxelles 22 décembre 1999; Cour d’appel Bruxelles 22 octobre 1999; Braun op.cit. No.272).
 
-           L’article 6bis alinéa 1er de la LBM prévoit que le BBM <refuse d’enregistrer un dépôt lorsqu’il considère que: a. le signe déposé ne constitue pas une marque au sens de l’article 1er, notamment par défaut de tout caractère distinctif ….>.
Le prédit article doit être interprété conformément à la première directive 89/104/CEE au Conseil de 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques.
 
Saisie, dans le cadre d’un litige opposant le groupe LIBERTEL, GROUP B.V. au BBM, qui a refusé de procéder à l’enregistrement en tant que marque d’une couleur orange pour des produits et services de télécommunications, de différentes questions préjudicielles par le Hoge Raad der Nederlanden, la Cour de Justice des Communautés Européennes, interprétant l’article 3 de la directive, article qui correspond en substance à l’article 6bis de la LBM, a dit pour droit dans son arrêt du 6 mai 2003 que <pour apprécier si une marque possède un caractère distinctif au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b) et 3) de la directive 89/104, l’autorité compétente en matière d’enregistrement des marques doit procéder à un examen concret, en tenant compte de toutes les circonstances du cas d’espèce et notamment de l’usage qui a été fait de la marque.>
 
En l’occurrence, le BBM relève à tort que la société PROXXON S.A. commercialise ses produits par la combinaison des couleurs verte et jaune. Cette circonstance n’est pas à considérer comme circonstance du cas d’espèce. Ne sont en effet à considérer comme telles que les circonstances qui se trouvent en rapport direct avec la marque déposée. Or l’usage d’une combinaison de couleurs est sans rapport avec la couleur jaune curry RAL 1027-HR déposée comme marque, couleur pour laquelle il n’a pas été fait état d’un usage.
 
La Cour de Justice des Communautés Européennes a encore dit pour droit:
< Pour apprécier le caractère distinctif qu’une couleur peut présenter en tant que marque, il est nécessaire de tenir compte de l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou des services du type de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé. Une couleur en elle-même peut être reconnue comme ayant un caractère distinctif au sens de l’article 3, paragraphes 1, sous b) et 3 de la directive 89/104, à la condition que, par rapport à la perception du public pertinent, la marque soit apte à identifier le produit ou le service pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et à distinguer ce produit ou ce service de ceux d’autres entreprises.
Le fait que l’enregistrement en tant que marque d’une couleur en elle-même soit demandé pour un nombre important de produits ou de services, ou bien qu’il soit pour un produit ou un service spécifique ou pour un groupe spécifique de produits ou de services, est pertinent, ensemble avec les autres circonstances du cas de l’espèce, tant pour apprécier le caractère distinctif de la couleur dont l‘enregistrement est demandé que pour apprécier si son enregistrement contreviendrait à l’intérêt général à ne pas restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs offrant des produits ou des services du type de ceux pour lesquels l’enregistrement est demandé.>
 
La couleur jaune curry RAL 1027-HR est une couleur terne, qui n’est guère de nature à retenir
l’attention. Il est même concevable que le consommateur moyen désigne la couleur déposée plutôt comme une nuance de vert ou brun.
 
Une telle couleur ne sera pas perçue par le public pertinent de l’espèce, à savoir l’acheteur moyen d’outils de bricolage, acheteur dont l’attention est focalisée par l’aspect technique des outils et non par leur présentation esthétique et qui n’a que rarement la possibilité de procéder à une comparaison directe des différentes couleurs mais doit se fier à l’image non parfaite qu’il en a gardée en mémoire, comme apte à identifier les outils de bricolage comme provenant d’une entreprise déterminée et à les distinguer de ceux d’autres entreprises.
 
La couleur jaune curry RAL 1027-HR n’a donc pas de caractère distinctif.
 
Il résulte des prospectus versés que les producteurs d’outils de bricolage existent en assez grand nombre.
 
Le marché pour lesquels la marque est demandée, d’ailleurs pour un grand nombre de produits, n’est donc pas très spécifique.
 
Il a été jugé que <Dans le cas d’une couleur en elle-même, l’existence d’un caractère distinctif avant tout usage ne pourrait se concevoir que dans des circonstances exceptionnelles et notamment lorsque le nombre des produits ou des services pour lesquels la marque est demandée est très limité et que le marché pertinent est très spécifique.> (cf.C.J.C.E. arrêt précité du 6 mai 2003)
 
En l’espèce, l’absence de spécificité du marché pertinent et le grand nombre de produits, pour lesquels la marque est demandée, soulignant à leur tour le caractère non distinctif de la couleur jaune curry RAL 1027-HR.
 
Il ressort en outre de l’examen des prospectus versés que la plupart des producteurs d’outils de bricolage utilisent une couleur verdâtre pour leurs produits. Reconnaître dans ces circonstances au signe jaune curry RAL 1027-HR le caractère d’une marque équivaudrait à restreindre indûment la disponibilité des couleurs pour les autres producteurs d’outils de bricolage, dès lors que le biais de l’article 13A1b de la LBM la société PROXXON S.A. pourrait faire interdire à ses concurrents l’usage d’une couleur verdâtre, ressemblant à la couleur jaune curry RAL 1027-HR, qui pourrait être conçue comme couleur verdâtre.
Le risque qu’il y a de restreindre par l’enregistrement de la couleur jaune curry RAL 1027-HR indûment la disponibilité des couleurs pour les autres opérateurs contribue également au manque de distincivité du signe déposé par la société PROXXON S.A.
 
Il résulte des considérations qui précèdent que le BBM a refusé à juste titre pour défaut de caractère distinctif l’enregistrement du dépôt No. 915428 relatif à la couleur jaune curry RAL 1027-HR.
 
Le BBM et la société PROXXON S.A., qui n’ont pas établi en quoi il serait inéquitable de laisser à leur charge les frais irrépétibles, sont à débouter de leurs demandes en obtention d’une indemnité de procédure.
 
PAR CES MOTIFS:
 
La Cour d’appel, quatrième chambre, siégeant conformément à l’article 6ter de la LBM, statuant contradictoirement,
 
déclare le recours de la société PROXXON S.A. recevable ;
 
le dit non fondé ;
 
dit que le BUREAU BENELUX DES MARQUES a refusé à juste titre l’enregistrement du dépôt No. 915428 relatif à la couleur jaune curry RAL 1027-HR ;
 
déboute le BUREAU BENELUX DES MARQUES de sa demande en obtention d’une indemnité de procédure ;
 
déboute la société PROXXON S.A. de sa demande en obtention d’une indemnité de procédure ;
 
condamne la société PROXXON S.A. aux frais et dépens de l’instance et en ordonne la distraction au profit de Maître Nicolas DECKER, avocat concluant qui la demande, affirmant avoir fait l’avance des frais et dépens.
 
Ainsi prononcé en audience publique où étaient présents:
 
Carlo HEYARD, premier conseiller-président ;
Annette GANTREL, conseillère ;
Charles NEU, conseiller ;
Marcel SCHWARTZ, greffier. 
 
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