Numéro de requête A 99/1

Date
Instance
CJB (concl. A-G)
Marque
POSTKANTOOR
Numéro de dépôt
Déposant
KPN Nederland
Texte
Affaire A 99/1
 
KPN Nederland contre Bureau Benelux des Marques
 
Prononcé: 9 juillet 2004
Affaire A 99/1
 
COUR DE JUSTICE BENELUX
 
KPN Nederland
 
contre
 
Bureau Benelux des Marques
 
Traduction des
 
Conclusions additionnelles de monsieur l’avocat général
L. Strikwerda (pièce A 99/1/15)
 
 
1.         Dans la présente affaire, la Cour de Justice Benelux a rendu un arrêt le 29 novembre 2001 (Jur. 2001, p. 2). En ce qui concerne les faits, la procédure et les questions d’interprétation posées à la Cour de Justice Benelux et à la Cour de justice des Communautés européennes par la cour d’appel de La Haye dans son ordonnance du 3 juin 1999 (affaire 98/210), qu’il me soit permis de renvoyer respectivement aux attendus 2, 4 à 7 et 3 de cet arrêt.
 
2.         Par l’arrêt prémentionné, la Cour de Justice Benelux a répondu aux questions I.a, II et III posées par la cour d’appel de La Haye et a sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se sera prononcée sur les questions d’interprétation qui lui ont été posées par la cour d’appel de La Haye.
 
3.         Par arrêt du 12 février 2004 (affaire C-363/99), la Cour de justice des Communautés européennes a répondu aux questions IV.a, V, VI, IX.a, X.a, X.b, XI, XII.a, XIII.a et XVI qui lui étaient soumises par la cour d’appel de La Haye. Aussi appartient-il maintenant à la Cour de Justice Benelux de répondre aux questions restantes IV.b, V, VI, VII, IX.b, X.c, XII.b, XIII.b, XIV et XV qui lui étaient posées.
 
Examen des questions IV.b, V et VI
 
4.         La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit en réponse à la question IV.a que l’article 3 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, J.O.C.E. 1989 L40/1, ci-après: la directive, doit être interprété en ce sens qu'une autorité compétente en matière d'enregistrement des marques doit prendre en considération, outre la marque telle qu'elle est déposée, tous les faits et circonstances pertinents. Une telle autorité doit prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents avant d'adopter une décision définitive sur une demande d'enregistrement d'une marque. S'agissant d'une juridiction saisie d'un recours contre une décision prise sur une demande d'enregistrement d'une marque, elle doit également prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents dans les limites de l'exercice de ses compétences, telles que définies par la réglementation nationale applicable
 
5.         Par les questions IV.b, V et VI, la cour d’appel de La Haye souhaite savoir si – en bref – cette interprétation est permise par la loi uniforme Benelux sur les marques, ci-après: LBM, dans l’appréciation portée par le Bureau Benelux des Marques dans la procédure d’examen visée à l’article 6bis et dans l’appréciation portée par le juge dans la procédure visée à l’article 6ter.
 
6.         Dans son arrêt du 26 juin 2000, affaire A 98/2, Campina Melkunie/Bureau Benelux des Marques (« Biomild »), Jur. 2000, p. 25, la Cour de Justice Benelux a admis l’interprétation de l’article 6bis, alinéa 1er (sous a), de la LBM dans un sens conforme à la directive. Il n’y a aucune raison de ne pas admettre cette interprétation à l’égard des autres dispositions de l’article 6bis et à l’égard des dispositions de l’article 6ter. Aussi, j’estime que les questions IV.b, V et VI appellent une réponse affirmative.
 
7.         Dans l’arrêt « Biomild » prémentionné, la Cour de Justice Benelux s’est, au demeurant, déjà prononcée sur ces questions. En effet, la Cour de Justice Benelux a dit pour droit dans l’attendu 39 de cet arrêt que le BBM, dans les décisions visées à l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM, et ensuite le juge appelé à apprécier, dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 6ter de la LBM, le bien-fondé de la décision prise par le BBM ne doivent pas se baser uniquement sur le signe tel qu’il a été déposé et sur les produits mentionnés à cette occasion, mais doivent aussi prendre en considération tous les faits et circonstances pertinents qui ont été dûment portés à leur connaissance.
 
Examen de la question VII
 
8.         La question VII soulève le point de savoir si le Bureau Benelux des Marques et le juge doivent prendre uniquement en considération les faits et circonstances pertinents qui se sont présentés au moment du dépôt au plus tard ou s’ils sont autorisés à fonder leur décision également sur des faits et circonstances postérieurs.
 
9.         Une décision sur ce point ne peut être réputée nécessaire pour permettre à la cour d’appel de La Haye de rendre son arrêt, dès lors qu’il n’apparaît pas que des faits ou circonstances postérieurs au dépôt du signe POSTKANTOOR par KPN auraient été invoqués. On ne se trouve donc pas en présence d’une situation telle que visée à l’article 6, alinéa 1er, du Traité relatif à l’institution et au statut d’une Cour de Justice Benelux de sorte qu’il n’est pas nécessaire de répondre à la question VII.
 
10.       Ceci dit, je relève que la Cour de Justice Benelux a déjà répondu à cette question – en ce qui concerne l’article 6ter de la LBM – dans son arrêt « Biomild » prémentionné (attendus 22-25 et 40).
 
Examen de la question VIII
 
11.       La question VIII soulève le point de savoir si le juge peut ou doit faire intervenir dans son appréciation de la requête visée à l’article 6ter de la LBM un motif de refus nouveau que le Bureau Benelux des Marques invoque pour la première fois dans la procédure judiciaire.
 
12.       Le juge qui est invité à ordonner l’enregistrement du dépôt en application de l’article 6ter de la LBM se doit de contrôler si le Bureau Benelux des Marques a refusé à bon droit l’enregistrement du dépôt. La réponse à la question VIII est renfermée dans cette obligation: le juge devra faire intervenir dans sa décision même un motif de refus nouveau que le Bureau Benelux des Marques invoque pour la première fois dans la procédure judiciaire, parce que, si le motif de refus nouveau est pertinent, le juge doit en déduire que l’enregistrement a été refusé à bon droit et que le juge ne peut être tenu d’ordonner l’enregistrement d’un signe qui ne peut être considéré comme une marque régulière. J’estime, dès lors, qu’il convient de répondre par l’affirmative à la question VIII.
 
Examen des questions IX.b et X.c
 
13.       En réponse respectivement aux questions IX.a, X.a et X.b, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit:
 
« L'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 s'oppose à l'enregistrement d'une marque qui est composée exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner des caractéristiques des produits ou des services pour lesquels l'enregistrement est demandé, et ce même s'il existe des signes ou des indications plus usuels pour désigner les mêmes caractéristiques et quel que soit le nombre de concurrents pouvant avoir intérêt à utiliser les signes ou les indications dont la marque est composée.
Lorsque la législation nationale applicable prévoit que le droit exclusif conféré par l'enregistrement, par une autorité compétente dans une zone où coexistent plusieurs langues officiellement reconnues, d'une marque verbale rédigée dans l'une de ces langues s'étend de plein droit aux traductions dans les autres de ces langues, ladite autorité doit vérifier pour chacune de ces traductions qu'elle n'est pas composée exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner des caractéristiques de ces produits ou services.
 
L'article 3, paragraphe 1, sous c), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens qu'une marque constituée d'un néologisme composé d'éléments dont chacun est descriptif de caractéristiques des produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé est elle-même descriptive des caractéristiques de ces produits ou services, au sens de ladite disposition, sauf s'il existe un écart perceptible entre le néologisme et la simple somme des éléments qui le composent, ce qui suppose que, en raison du caractère inhabituel de la combinaison par rapport auxdits produits ou services, le néologisme crée une impression suffisamment éloignée de celle produite par la simple réunion des indications apportées par les éléments qui le composent, en sorte qu'il prime la somme desdits éléments.
Aux fins d'apprécier si une telle marque relève du motif de refus d'enregistrement énoncé à l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive89/104, il est indifférent qu'il existe ou non des synonymes permettant de désigner les mêmes caractéristiques des produits ou services mentionnés dans la demande d'enregistrement. »
 
14.       Par les questions IX.b et X.c, la cour d’appel de La Haye demande à la Cour de Justice Benelux de lui dire si cette interprétation de la Cour de justice des Communautés européennes est permise par l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM.
 
15.       Il est à noter que la cour d’appel de La Haye avait centré la question X sur l’article 2 de la directive. La Cour de justice des Communautés européennes a reformulé la question pour la relier à l’article 3, paragraphe 1, de la directive (voyez le point 87 des motifs). Il est évident de suivre la même voie et de faire porter la question X.c sur l’article 3, paragraphe 1, de la directive.
 
16.       Il est à noter, en outre, que l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM a été modifié, avec effet au 1er janvier 2004, par l’article I.F du Protocole du 11 décembre 2001 portant modification de la loi uniforme Benelux sur les marques. La disposition est à présent mieux alignée sur l’article 3, paragraphe 1, de la directive. Toutefois, l’interprétation porte en l’espèce sur l’article 6bis, telle que cette disposition était libellée depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 1996 jusqu’au 1er janvier 2004.
 
17.       A l’égard de l’(ancien) article 6bis, alinéa 1er, de la LBM, la Cour de Justice Benelux a considéré dans son arrêt « Biomild » prémentionné que cette disposition correspondait à l’article 3, paragraphe 1, de la directive (attendus 19 et 26-28). L’acceptation de l’interprétation de l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM dans un sens conforme à la directive se trouve ainsi confirmée. Cela veut dire que l’interprétation que la Cour de justice des Communautés européennes a donnée de l’article 3, paragraphe 1, de la directive, est également valable pour l’interprétation de l’article 6bis, alinéa 1er, de la LBM. Les questions IX.b et X.c appellent donc, à mon avis, une réponse affirmative.
 
18.       En rapport avec la question IX, je fais encore observer que la doctrine des signes ‘exclusivement’ descriptifs et évocateurs qui a été développée dans l’arrêt de la Cour de Justice Benelux du 19 janvier 1981, affaire A 80/3, Ferrero/Ritter (« Kinder »), Jur. 1980-1981, p. 69 et suiv. (voyez aussi CJBen 5 octobre 1982, affaire A 81/4, Wrigley/Benzon (« Juicy Fruit »), Jur. 1981-1982, p. 20 et suiv.) est ainsi abandonnée. En effet, la doctrine suivant laquelle la marque peut être considérée comme licite si le signe n’est pas ‘exclusivement’ descriptif mais seulement évocateur – doctrine qui, du reste, n’est pas en soi contraire à l’article 6quinquies B, sous 2, de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle – n’est pas permise par l’article 3, paragraphe 1, de la directive, tel qu’il a été interprété par la Cour de justice des Communautés européennes.
 
Examen de la question XII.b
 
19.       La question XII.b me semble faire double emploi: elle soulève le même problème que les questions IX.b et X.c et appelle donc aussi une réponse affirmative.
 
20.       Dans la mesure où la question XII.b doit être comprise en ce sens que la cour d’appel de La Haye souhaite, par cette question, que la Cour de Justice Benelux lui dise si la réponse de la Cour de justice des Communautés européennes à la question XII.a est permise par l’article 6bis de la LBM, je relève que la Cour de Justice Benelux a déjà répondu à cette question dans l’arrêt « Biomild » prémentionné (attendu 41).
 
Examen de la question XIII.b
 
21.       Par la question XIII.b, la cour d’appel de La Haye souhaite que la Cour de Justice Benelux lui dise si, compte tenu de la réponse de la Cour de justice des Communautés européennes à la question XIII.a, il est compatible avec le système de la LBM et du Règlement d’exécution qu’un signe fasse l’objet, pour des produits ou des services déterminés, d’un enregistrement assorti de la restriction selon laquelle il ne vaut que dans la mesure où lesdits produits ou services ne possèdent pas une ou plusieurs qualités déterminées.
 
22.       En réponse à la question XIII.a, la Cour de justice des Communautés européennes a décidé que la directive s’oppose à ce qu’une autorité compétente en matière d’enregistrement des marques enregistre une marque pour certains produits ou certains services à condition qu’ils ne présentent pas une caractéristique déterminée.
 
23.       A mon avis, il découle de cette décision de la Cour de justice des Communautés européennes que la question XIII.b ne saurait appeler qu’une réponse négative. Je serais d’ailleurs d’avis que même considéré en lui-même, le système de la LBM et du Règlement d’exécution entraîne forcément la même conclusion, et ce pour le motif énoncé par la Cour de justice des Communautés européennes: de telles restrictions entraînent une insécurité juridique quant à l’étendue de la protection de la marque (point 115 des motifs).
 
Examen de la question XIV
 
24.       La question XIV est le reflet de la question XIII et soulève le point de savoir si, en vertu de l’article 6bis, alinéa 2, de la LBM, le Bureau Benelux des Marques peut limiter son refus à un ou à plusieurs des produits mentionnés dans le dépôt dans la mesure où ils concernent une ou plusieurs qualités déterminées.
 
25.       Un refus sous cette forme équivaut à ce que le Bureau Benelux des Marques enregistre une marque pour certains produits à condition qu’ils ne possèdent pas une caractéristique déterminée. Cette pratique n’est pas permise, eu égard à la réponse que l’on doit donner, me semble-t-il, à la question XIII.b. Aussi, j’estime que la question XIV appelle une réponse négative.
 
Examen de la question XV
 
26.       La question XV se décompose en deux parties. La cour d’appel de La Haye souhaite savoir en premier lieu si le juge peut ou doit prendre en considération la requête – faite pour la première fois dans la procédure visée à l’article 6ter de la LBM – d’enregistrer une marque avec une restriction. La cour souhaite savoir en second lieu s’il est permis au juge de procéder d’office à un tel enregistrement.
 
27.       Une situation telle que visée dans la première branche de la question XV ne se présente pas dans la présente affaire. En effet, KPN a fait ladite requête en réaction au refus provisoire d’enregistrement du dépôt décidé par le Bureau Benelux des Marques (par lettre du 15 décembre 1997), donc avant le début de la procédure visée à l’article 6ter de la LBM. Une décision sur la première branche de la question XV ne peut, dès lors, pas être réputée nécessaire pour rendre un jugement, de sorte que l’on ne se trouve pas en présence d’une situation telle que visée à l’article 6, alinéa 1er, du Traité relatif à l’institution et au statut d’une Cour de justice Benelux et qu’il n’est pas nécessaire de répondre à cette branche de la question.
 
28.       Vu la réponse qu’il convient, à mon sens, de donner à la question XIII.b, la question XV, en sa seconde branche, appelle une réponse négative.
 
Conclusion
 
Je conclus à ce que votre Cour réponde par l’affirmative aux questions IV.b, V, VI, VIII, IX.b, X.c et XII.b et par la négative aux questions XIII.b, XIV et XV.
 
La Haye, le 9 juillet 2004
 
(s.) L. Strikwerda
Avocat général
 
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